VIDÉO – Le bandonéon, comment ça marche ? Par Louise Jallu (radiofrance.fr)

https://www.radiofrance.fr/francemusique/le-bandoneon-comment-ca-marche-avec-louise-jallu-3726180

bandonéon – De braises et d’ombre… (debraisesetdombre.com)

Histoire de famille : notre cousin le bandonéon (radiofrance.fr)

https://www.radiofrance.fr/francemusique/podcasts/brut-d-accordeon/histoire-de-famille-notre-cousin-le-bandoneon-5766470

Le Bandonéon, un son de cœur – ELICCI

Mythe Bandonéon : Chants de la Méditerranée

Textes et interviews: Joaquín Alem (compositeur et bandonéoniste argentin, vit en Allemagne) Photos: Birgit Jansen, Hanna Witte, Grzegorz Golebiowski

Il existe de nombreux mythes entourant le bandonéon et ses origines. L’un des plus courants circulant en Argentine est que le bandonéon a été inventé en Allemagne pour jouer le rôle de l’harmonium et, dans certains cas, pour remplacer l’orgue. En Argentine, il existe une opinion largement répandue selon laquelle le bandonéon était à l’origine un instrument inventé et construit pour la musique liturgique, et que c’est l’origine de l’âme de son timbre. Cela a été décrit à plusieurs reprises comme un « son céleste ».

En outre, on suppose que les deux œillets, que l’on peut voir au sommet du soufflet, permettaient aux joueurs d’accrocher l’instrument et de le jouer en procession comme s’il s’agissait d’un orgue portable.
Le fait est que lorsque le bandonéon est arrivé au Rio de la Plata à la fin du 19ème siècle et a été intégré dans le tango, il s’est imposé comme un instrument précisément dans des endroits particulièrement éloignés de l’église – dans les bordels et les cabarets de Buenos Aires. Son timbre et ses possibilités instrumentales ont grandement contribué à l’émergence de la musique de Buenos Aires.
Alors pourquoi l’origine du bandonéon en Argentine est-elle si souvent associée à l’orgue, à l’harmonium et à la liturgie ?
Malgré le caractère sonore très unique du bandonéon à 142 voix (système argentin ou hauteur rhénane), on peut encore reconnaître – à travers le timbre du clavier droit et gauche et les deux en combinaison – une certaine correspondance avec le son d’un harmonium ou d’un orgue.
Ce lien sonore entre le bandonéon et l’orgue est peu présent, car un seul type de répertoire et une seule forme de jeu de bandonéon sont socialement connus: le tango. La variété de l’articulation rythmique et lyrique que le bandonéon apporte au tango, principalement en raison de ses énormes capacités dynamiques, n’a absolument rien à voir avec les possibilités d’articulation qui sont données sur un orgue. Cependant, lorsque le bandonéon est utilisé dans une musique à trois ou quatre parties avec une utilisation modérément stable de l’air, la connexion sonore à l’orgue devient immédiatement apparente.
Il y avait et il y a encore des bandonéonistes bien connus, comme Alejandro Barletta ou Rodolfo Daluisio (bandonéoniste et organiste), qui ont consacré une grande partie de leur carrière à l’interprétation de la musique baroque. Comme il est possible d’étudier ce type de répertoire dans les universités argentines, les maîtres de bandonéon spécialisés dans le tango se rapprochent également de la musique baroque. Les élèves du bandonéon de tango traitent donc également de la musique de Bach, Frescobaldi, Scarlatti et d’autres compositeurs baroques – mais principalement à des fins techniques.
Mais alors qu’advient-il de ce phénomène de la connexion sonore du bandonéon et de l’orgue dans le domaine de la musique originale composée spécialement pour le bandonéon ?
Il existe de nombreux exemples dans les œuvres de Dino Saluzzi qui ont une « vision argentine » de la musique européenne ancienne, c’est-à-dire une certaine influence, comme Coral: El hombre de los milagros (Andina, ECM 1988), Coral para mi pequeño y lejano pueblo (Cité de la Musique, ECM 1997), Cruz Del Sur, (Kultrum, ECM 1999, avec le Quatuor à cordes Rosamunde ). Dans ces interprétations magistrales de sa propre musique, Dino Saluzzi utilise l’air du soufflet de manière stable, avec un grand dynamisme, mais sans exagération, composant et improvisant de manière polyphonique.
Il y a aussi quelques exemples de ce genre d’expression dans les œuvres d’Astor Piazzolla. Par exemple, il a lui-même dit à propos du deuxième mouvement de la Suite Punta del Este – Corail – qu’il s’est présenté à Jean-Sébastien Bach jouant du Bandonéonège Cadenza. Il existe également une version d’une autre œuvre intitulée Coral (Astor Piazzolla y su quinteto – Adiós Nonino 1969) du bandonéoniste norvégien Per Arne Glorvigen dans l’album El Arte de la Fuga y del Tango (Ballhorn Records 2016), dans laquelle vous pouvez entendre les gestes de la musique de Piazzolla sur le bandonéon d’une manière principalement polyphonique et calme.
Dans le fragment de la partition suivante de mon travail Música para los bosques de Oldenburg (Lado a y lado bCalygram Records 2020), nous pouvons voir une possibilité de notation polyphonique bandonéoniste à quatre voix, doublée par un deuxième bandonéon.

200 Years heinrich Band – Le bandonéon a été développé pour la musique populaire | Tango21.info

200 Years Heinrich Band – Le Bandonéon a été développé pour la musique populaire

Entretien avec Janine Krüger

Musicologue et auteure du livre « Heinrich Band. Bandonéon – Le voyage d’un instrument de Krefeld dans le Bas-Rhin dans le monde »

Tango21: Janine, Heinrich Band était au milieu de la vie. Il était marchand de musique, professeur de musique, musicien et violoncelliste. Que voulait-il réaliser avec le bandonéon ?

Janine Krüger :Heinrich Band est issu d’une famille qui travaillait comme tisserand salarié et plus tard comme tisserand indépendant et appartenait donc à la classe moyenne émancipatrice. Plus tard, son père a ouvert son propre magasin de musique. Heinrich y est entré à un jeune âge et a vu à quel point les instruments d’harmonica étaient bien reçus par ses clients.

La famille des instruments harmonica dans son ensemble a connu un essor impressionnant au 19ème siècle. Dans le développement des instruments, il s’agissait toujours de concevoir les possibilités techniques de manière à ce qu’un répertoire attrayant puisse être joué. Initialement, la musique était jouée avec quelques notes, e.B. avec des harmonicas de 10 et 20 tons. Pour la classe moyenne, cependant, les airs populaires, la musique de danse, les chansons folkloriques ou les succès classiques tels que la sérénade de Schubert étaient attrayants, car c’était la musique qui résonnait dans les salons de la classe moyenne supérieure. Afin de pouvoir jouer ce répertoire, les harmonicas ont dû être développés davantage.

Band était donc principalement préoccupé par la création d’un instrument sans restrictions musicales, sur lequel on pouvait également jouer le répertoire classique, les ouvertures ou la musique de ballet. L’instrument doit être comparable aux instruments de salon de l’époque. En 1850, il conçoit un arrangement de clavier pour un accordéon d’une puissance totale de 88 tons, répartis sur quatre rangées, et arrange des morceaux de musique populaires pour celui-ci. Dans son école d’accordéon de 1850, Band a également expliqué comment jouer et ce qu’il considérait comme les qualités de son modèle d’instrument. En tant que développeur d’instruments de musique, arrangeur et enseignant, il a contribué de manière significative à permettre à la classe moyenne de faire de la musique. Je vois ici le mérite essentiel de Heinrich Band : c’était un acteur social qui voulait permettre à ses clients de faire le répertoire souhaité. Rejouer des pièces d’opéra et de ballet populaires, c’est-à-dire les reproduire tonalement en dehors de leurs lieux de représentation, signifiait avant tout une participation culturelle à cette époque!

Heinrich Band (Photo: Stadt Krefeld, Musée Burg Linn. Repro: Horst Klein)

Cependant, le développement du bandonéon ne peut être compris que s’il est considéré comme faisant partie d’une grande famille d’harmonicas distribuée dans le monde entier, qui a déployé un énorme potentiel de marché au 19ème siècle. À l’époque des groupes et même des décennies plus tard, le bandonéon était considéré comme une variante produite de haute qualité de l’accordéon de l’époque, le bandonéon avec sa hauteur rhénane de quatre à six rangées de touches offrant la plus grande gamme. Aujourd’hui, nous avons une vision très ciblée, presque isolée, du bandonéon, mais seulement parce que de nombreux modèles d’harmonica de cette époque et l’ancienne richesse des variantes ont été oubliés.

Tango21: Une question détaillée : Il existe des traditions selon lesquelles les bandonéons étaient également destinés aux congrégations d’églises pauvres qui n’avaient pas les moyens de se payer un orgue. Qu’est-ce qui se passe avec ça?

Janine Krüger : Lamusique d’église est l’une des parties les mieux documentées de l’histoire de la musique. Ici, je n’ai trouvé aucun indice. Dans les méthodes d’enseignement de l’accordéon précoce et du bandonéon, certains chorales sont inclus. Cependant, ils doivent être considérés comme faisant partie de la musique house de cette époque. La fonction du bandonéon a toujours été dans la musique populaire, proche des gens, de leurs chants et de leurs danses. Même s’il n’est pas possible de confirmer que le bandonéon a été développé comme un remplacement d’orgue, on ne peut nier qu’il sonne tout simplement merveilleux dans l’espace de l’église! Je suis tout à fait sûr qu’au 19ème siècle, il était possible de gagner des bandonéonistes pour des concerts dans les églises. Cependant, il ne serait pas correct d’en tirer une idée originale pour l’instrument lui-même.

La fausse tradition selon laquelle le bandonéon servait de substitut d’orgue est néanmoins intéressante d’un point de vue musicologique. Je vois ici une référence à l’harmonium, un instrument à clavier qui était extrêmement populaire à l’époque avec des registres pour différents timbres, qui était utilisé à la fois dans les salons et comme remplacement d’orgue dans l’église. La proximité de l’harmonium autoportant aux harmonicas à main peut avoir conduit à certaines inexactitudes conceptuelles dans la tradition conduisant à de fausses déclarations.

Bien sûr, Band connaissait l’harmonium et a même mis son magasin de musique à disposition pour la présentation de marques belges. L’harmonium et ses variantes présentaient des similitudes avec la production sonore des accordéons de l’époque et correspondaient entièrement aux exigences de l’époque : faire de la musique à la maison, moduler le ton selon ses préférences et choisir parmi les timbres d’un orchestre. L’idée du « petit orchestre » peut également être trouvée dans le matériel publicitaire de Heinrich Band pour le bandonéon. Il relie les caractéristiques sonores des deux côtés du bandonéon directement aux hauts et aux bas de l’orchestre. Le classement correct des anches était très important ici, car cela permettait de travailler sur les nuances tonales. Band était certainement fasciné par la variété des sons et les possibilités de conception de l’harmonium, probablement même inspiré pour son propre design. Le remplacement de l’organe, cependant, était manifestement l’harmonium et non le bandonéon.

Heinrich Band (avant gauche) fait de la musique de salon. (Photo: Ville de Krefeld, Musée Burg Linn, Inv. N° .B 171)

Tango21:Un aspect vivement débattu est la mesure dans laquelle Band a contribué au développement technique du bandonéon, ou s’il a simplement créé une marque avec son nom en tant que marchand intelligent. Comment voyez-vous cela?

Janine Krüger :Le point fait l’objet de vifs débats et la réponse à cette question est assez complexe. Cela est principalement dû aux conditions de production à ce moment-là. Ceux-ci étaient caractérisés par une très haute division du travail et de nombreux petits bricoleurs indépendants. Il est tout à fait clair que Band n’a pas produit d’instruments lui-même, mais a commandé la production de son design à des fabricants saxons. En Saxe, il y avait et il y a toujours une production d’instruments très dynamique. Band a d’abord acheté des accordéons à Carl Friedrich Uhlig de Chemnitz, puis a fait produire son design d’instrument par Uhlig. De nombreux sites de production étaient principalement des entrepreneurs, par.B exemple la production d’harmonica à Waldheim. D’autres sites de production, tels que.B ceux d’Uhlig et de Zimmermann, ont développé leurs propres modèles d’instruments, mais ont également produit des conceptions externes. Bien que Band n’ait pas construit d’instruments, il avait une compréhension technique profonde qui lui permettait à la fois de réparer et d’accorder les instruments. Il a même écrit un guide détaillé sur la réparation et l’accord des instruments d’harmonica quelques années avant sa mort.

Vous devez également garder à l’esprit que la conception de 88 tons du groupe sur quatre rangées était une caractéristique spéciale à l’époque, comparable à une contrebasse à 5 cordes. Band a essayé de réaliser une gamme spécifique de tons et d’options de prise en main qui étaient importantes pour le répertoire de son groupe cible. Et il a laissé les tons précédents où ils ont été appris par les joueurs. Les zones centrales sont restées intactes, pour ainsi dire. Les musiciens et les instruments pourraient grandir ensemble de manière organique et se rapprocher de l’objectif du son orchestral. Il s’agissait initialement d’une stratégie commerciale réussie. Mais le principe de « grandir avec soi » était aussi une évidence pour un professeur de musique de familiariser les débutants avec un instrument clair et de leur permettre ensuite de passer à un instrument plus grand. Le fait que les zones centrales étaient déjà familières rend le changement facile et motive à élargir les compétences et le répertoire.

Un autre point serait le marché des instruments à ce moment-là. Toutes les formes d’accordéon étaient en plein essor. Il y avait beaucoup de techniques, de conceptions et d’affectations sonores différentes. Dans ce marché dense, il était nécessaire de distinguer le bandonéon des autres accordéons. Des fabricants saxons tels que .B Carl Friedrich Uhlig et Carl Friedrich Zimmermann ont également fait de même pour leurs concertinas et ont intensément promu leurs modèles d’instruments et leurs extensions techniques. L’objectif était de faire comprendre à la clientèle intéressée par la musique que les plus grands harmonicas avaient leur propre identité et que leur propre conception d’instrument était la meilleure. Il en est donc venu au nom Bandonion (plus tard Bandoneon)puis à la démarcation ultérieure du clavier en tant que hauteur rhénane. Ce n’est qu’avec la distance temporelle que nous savons que le modèle de Band a fait ses preuves et a pu traverser ce développement fascinant en Amérique latine.

Tango21: Heinrich Band est mort en 1860, lorsque le tango a commencé à se développer. Les bandonéons qui ont été livrés en Amérique latine étaient maintenant produits par les Arnold et d’autres. Comment se fait-il que le bandonéon dans le tango ait connu une nouvelle floraison?

Janine Krüger :C’est là que la recherche en est à ses balbutiements. Heinrich Band lui-même n’en a plus fait l’expérience et son bandonéon n’a pas été développé pour le tango. Et pourtant, il existe des propriétés d’instruments qui ont déjà été créées et qui ont été étendues par les fabricants ultérieurs pour les instruments d’exportation. Un lien entre les bandes d’instruments et les modèles de tango ultérieurs est, par exemple, la modulabilité de la tonalité. Band s’est orienté davantage sur la ligne mélodique, qui n’est idéalement pas interrompue. En raison du flux d’air, cette ligne peut également être modulée après avoir appuyé sur un bouton. Avec leur poids plus élevé, les derniers bandonéons ont pu faire un usage beaucoup plus différencié de cette possibilité et de l’utilisation raffinée des soufflets et ainsi élargir le côté rythmique de l’articulation du tango. Tout comme Band a regardé son public et son répertoire dans le développement ultérieur de l’accordéon, il en va de même pour les fabricants et les exportateurs tels que les frères Arnold. Dans mon livre, certains fabricants d’instruments ont leur mot à dire, qui donnent déjà des impulsions de recherche intéressantes en ce qui concerne les instruments d’exportation. Ce serait formidable si le livre, qui a été publié par le Förderverein für das Kulturbüro der Stadt Krefeld et qui est maintenant publié en espagnol par Vanina Steiner, faisait progresser la recherche sur le bandonéon dans ce domaine également.

Tango21: Merci beaucoup pour l’interview

 

Le bandonéon et les marins | Maison de la Radio et de la Musique

« Le souffle du bandonéon avale mes poignets », fait dire Étienne Roda-Gil à Julien Clerc dans une célèbre chanson dont la musique est signée Astor Piazzolla. Le bandonéon est en effet un instrument à vent muni d’un soufflet, et d’un clavier permettant de commander le passage de l’air, lequel fait vibrer des lamelles de métal. Le bandonéon, en un sens, est autant un harmonica qu’un accordéon. Apparu en Allemagne vers 1840, l’instrument s’appellerait ainsi du nom d’un certain Heinrich Band, qui se serait emparé du concertina de Carl Friedrich Uhlig, l’aurait grandement perfectionné, et aurait ainsi inventé le bandonion. Ledit instrument aurait ensuite traversé l’Atlantique à la suite d’une méprise : conçu pour évangéliser les masses, tel un orgue portatif, il aurait en réalité trouvé sa place dans les quartiers chauds de Buenos Aires grâce à des marins venus de Hambourg. Lesquels, mais c’est une autre histoire, ont aussi importé en Amérique le hamburger.
 
Ch. W.

Découvrez le bandonéon, cet instrument trop méconnu (rocktambule.com)

Le Bandonéon, un son de cœur – ELICCI

Le Bandonéon, un son de cœur – ELICCI

LE BANDONÉON, UN SON DE CŒUR

Le Bandonéon est instrument de musique passionnant tant son histoire et son répertoire sont vastes et riches.

Laissons plutôt la parole à l’un de ses plus grands maîtres, l’argentin Astor Piazzolla, formé auprès des musiciens et pédagogues les plus marquants, comme Nadia Boulanger ou Aníbal Troilo. Il est l’un des principaux rénovateurs du Tango dont beaucoup, dans les années 1950 avaient annoncé les funérailles et le considéraient comme mort et enterré.

HISTOIRE ET PRATIQUE DU BANDONÉON

Voici un extrait d’une interview accordée par Astor Piazzolla à la BBC en 1989 :

A. P. – « Le Bandonéon fut créé en 1854 en Allemagne afin de jouer de la musique religieuse, de la musique d’église. N’ayant plus d’argent pour acheter un orgue ou un harmonium et les allemands inventèrent cet instrument. Il était alors appelé Bandonium. […] Un grand nombre de marins jouaient de cet instrument lorsqu’ils montaient à bord. Et c’est ainsi qu’il est arrivé en Argentine où ils commencèrent à en jouer dans les maisons de plaisirs. Mais des accordéonistes italiens adoptèrent rapidement cet instrument afin de pouvoir interpréter des tangos parce qu’il avait un son très mélancolique, un son velouté. L’accordéon a un son joyeux alors que le bandonéon n’a rien de gai en lui. »

Question de l’interviewer – Comment en joue-t-on, que fait-on avec chaque main ?

A. P. – « A la main gauche, il y a les basses, et la main droite est similaire à un violon. C’est comme un quartet à corde.»

Question de l’interviewer – Il ne joue pas d’accords ?

A. P. – « Si. Pas un seul comme avec l’accordéon. Si vous voulez un accord, vous devez utiliser tous vos doigts. Nous avons seulement quatre doigts de chaque coté et les pouces pour tenir l’instrument. Les accords sont créés note par note. Vous obtenez des accords de huits notes. C’est assez difficile. Par exemple, lorsqu’à la main droite, vous faites une gamme en ouvrant le soufflet le bouton faisant sonner la note do, donne un ré en fermant le soufflet. Pour ontenir le même do en fermant le soufflet il faut acctionner un autre bouton. De même la main gauche possède une configuration de sons en ouvrant et une différente en fermant le soufflet. Les cotés droit et gauche sont totalement differents et i

 

DE LA MUSIQUE D’ÉGLISE AU TANGO, UN SON DE VELOURS

Après cet éclairage technique d’Astor Piazzolla, ajoutons que le bandonéon dispose d’un très large répertoire qui va de la musique religieuse à la musique classique, en passant par le folklore d’Allemagne, d’Europe du Nord, et de tous les pays du bassin du Rio de la Plata en allant jusque dans les hauteurs des plateaux andins avec le Chamamé par exemple. Il permet aussi d’interpréter des danses, musiques et chansons populaires françaises (bal musette) et du monde entier (Balkans, Moyen Orient…), du jazz et des œuvres contemporaines.

Néanmoins, ce qui marque profondément le bandoneon reste tout de même sa place prépondérante au sein du Tango. Il aura su séduire des grands maîtres de cet instrument, souvent aussi compositeurs de renom comme Francisco Canaro, Enrique Santos Disceplo, Anibal Troilo, Astor Piazzolla, et plus près de nous Ruben Juarez, Daniel Binelli, Dino Saluzzi, César Stroscio, Juan Jose Mosalini, et tant d’autres.

Tendre et profond, le son du bandonéon est une célébration à ce qui raisonne de plus évident et de plus sincère en nous : la vie, la mort et l’amour que l’on porte à ceux qui nous entourent, à qui l’on tient parfois, souvent, plus qu’à nous mêmes.

Annie Kouyoumdjian

L’AVIS D’ELICCI

Le bandonéon est donc un instrument qui se prête particulièrement bien à l’accompagnement musical des obsèques :

– pour les enterrements religieux, il peut remplacer l’orgue si la paroisse n’en dispose pas

– pour tous types de funérailles, civiles comme religieuses, car il procure un son chaud et rond avec une large palette de nuances, ce qui est propice à l’expression des émotions les plus profondes. Et comme le dit Astor Piazzolla : «le bandonéon n’a rien de gai en lui».

QUELQUES IDÉES DE MUSIQUES POUR OBSÈQUES AU BANDONÉON :

Adios Nonino, d’Astor Piazzolla, pour une cérémonie religieuse ou civile :

 

 

Cet Aria de Bach pour une messe de funérailles :

 

 

Dans un style bal musette / chanson populaire française pour une inhumation au cimetière :

 

 

 

INTERVIEW COMPLÈTE D’ASTOR PIAZZOLLA PAR LA BBC EN 1989 :

 
Le bandonéon – Culture Tango (culture-tango.com) 
Étonnant instrument qui fascine, symbole du tango par excellence, le bandonéon a une histoire plus que centenaire, un parcours inattendu et passionnant.

Sur un ton vivant, ponctuée d’exemples sonores d’archives et actuels, de vidéos et d’anecdotes, Solange Bazely vous fera découvrir cet instrument intrigant à travers sa naissance en Allemagne, son fonctionnement, sa deuxième naissance sur les rives du Rio de la Plata grâce à sa vocation pour le tango, ceux qui l’ont apprivoisé, joué, fait évoluer et intégré dans toutes les musiques et le nouvel élan donnée par le renouveau des orchestres et grâce à sa re-fabrication récente tant en Europe qu’en Argentine.

https://milongaophelia.wordpress.com/2015/05/10/le-bandoneon-ou-la-spiritualisation-de-la-musique/

Le bandonéon ou la spiritualisation de la musique.

  

Le bandonéon est aujourd’hui l’instrument emblématique du tango argentin. Cela n’a pas été toujours le cas. Sa seule évocation suffit à susciter une atmosphère musicale, poétique, un univers de sensations.

À l’image de ce genre musical où se mêlent doutes et approximations sur ses origines, et même sur son nom, le bandonéon est parfois entouré de mystère.

Cet instrument de musique contrairement à d’autres, n’a pas été créé à partir d’une idée entièrement nouvelle. Il est plutôt le fruit d’une évolution d’un instrument – le concertina allemand – de Carl Friedrich Uhlig (1789-1874), originaire de Chemnitz (ville située dans l’ouest de la Saxe), répondant à un besoin musical, à savoir une demande d’extension de la tessiture du concertina et pour pouvoir jouer dans toutes les tonalités (voir note 1).

À cet égard, il se distingue des évolutions musicales où ce n’était pas l’extension du spectre sonore qui était recherché mais une plus grande vitesse ou virtuosité de l’exécution musicale.

H BAND

Heinrich Band

C’est dans ce contexte qu’Heinrich Band qui était à la tête d’un magasin d’instruments de musique à Crefeld (Krefeld avant 1929 d’où les variations d’orthographe dans les différentes sources) a conceptualisé un nouveau système de clavier. Zimmermann sur la base de ce nouveau concept fabrique aussi l’instrument en 1850 à Carlsfeld (un Carlsfeld Konzertina) mais c’est Heinrich Band qui le commercialise et le perfectionne sur le fondement d’une politique commerciale intelligente (certains diraient rusée) consistant à créer une chaîne de ventes aux fortes élasticités croisées (partitions, instruments sous la marque Band-Union, cours, méthode annoncée comme rapide et simple à la portée de tous).

Un festival consacré au bandonéon a lieu dans cette ville.


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Aussi incroyable que cela puisse paraître, ni l’un ni l’autre ne dépose un brevet et ne revendique la paternité de l’instrument créé.

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« Méthode d’accordium contenant un enseignement facile pour apprendre à jouer l’accordium en très peu de temps même sans maître, aussi pour les amateurs qui n’ont pas encore de connaissance de musique »

On trouve la présence de cet instrument à l’Exposition universelle de Londres en 1851 (une source avance même sa présence à l’Exposition industrielle et agricole de 1849 mais on peut nourrir quelques doutes sur le bien-fondé de cette affirmation).

En 1854, en hommage à Heinrich Band qui défendait ardemment cet instrument de musique, Zimmermann lui donne le nom de bandonéon. Dans les ateliers de Zimmermann travaillait Ernest Louis Arnold qui reprend l’affaire dix ans plus tard quand le gérant décide de s’installer aux États-Unis. À la mort d’Arnold, il laisse deux fils : Hermann, le fils aîné, prend la suite de son père, alors qu’Alfred monte sa propre affaire. Ernest Louis Arnold (ELA) et Alfred Arnold (AA) deviennent les deux plus importantes manufactures de bandonéons de l’histoire. Le « Doble A », expression utilisée pour désigner un bandonéon de la manufacture d’Alfred Arnold, suffira vite pour devenir le symbole de l’excellence de la fabrication de cet instrument.

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Le bandonéon connaît un vif succès dans la mesure où il concerne deux domaines, et deux seulement : la musique sacrée jouée dans les églises car le coût plus faible de cet instrument permet de remplacer avantageusement l’orgue ou l’harmonium, et le folklore d’Europe centrale.

Toujours inconnu en Argentine, le bandonéon fait son apparition après, vers 1870, sachant que les conditions de son introduction sont imprécises et donnent lieu à des versions qui reposent plus sur des suppositions que sur des faits établis, clairs et précis, ne laissant aucune place au doute.

Le bandonéon serait apparu en Argentine, à Buenos Aires, quand un marin Irlandais ou Anglais l’aurait échangé contre une bouteille de whisky (parfois il est dit que ce marin aurait bien profité des nuits de Buenos Aires et que pour payer ses dettes de jeu, il aurait vendu son bandonéon dans un magasin qui aurait été ensuite acheté par un musicien portègne qui aurait appris à en jouer en autodidacte).

Pour certains, le bandonéon aurait été introduit par un Suisse en 1863, par un Brésilien en 1870, par un Allemand en 1900 !… Face à de multiples affirmations invérifiables et contradictoires, mieux vaut admettre que nous sommes en face d’une zone d’ombre et d’ignorance relative quitte à se réfugier dans la pensée de Pierre Dac (ô combien salvatrice !) selon qui une personne ignorante en saura toujours autant qu’une personne qui n’en sait pas plus qu’elle.

En 1895, on dénombre 18 clubs de bandonéons à Leipzig. En Argentine, et plus précisément à Buenos Aires, le bandonéon ne suscite pas immédiatement un engouement. Ainsi que l’écrivent Louis Peguri et Jean Mag en 1950 dans Du bouge… au Conservatoire, « même début difficile, même engouement par la suite. Comme l’accordéon à Paris, le bandonéon rencontra à Buenos Aires une hostilité persistante pendant quelques années ».

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Durant l’entre-deux-guerres, on assiste à la plus importante fabrication de bandonéons, d’une part en raison de sa généralisation en Argentine, d’où une exportation massive (Alfred Arnold y exporte 25 000 bandonéons) et, d’autre part, d’un marché en forte croissance en France depuis la propagation du tango à Paris dans les années 1920, puis ensuite en Europe. La production est industrielle et donne lieu à une sous-traitance massive. Les usines de Carlsfeld et Klingenthal prédominent.

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La Seconde Guerre mondiale porte un coup terrible au bandonéon non pas tant en raison du conflit car l’activité musicale se maintenait que des conséquences de la guerre et du nouveau visage de l’Europe sur le plan territorial et politique, notamment en Allemagne. La Saxe devient un land de la R.D.A. et les unités de production AA et ELA sont nationalisées par le régime communiste en 1949 et 1959 puis regroupées (ainsi que d’autres marques) sous la marque d’État Harmona. La fabrication baisse nettement en qualité et dès 1964, l’usine de Carlsfeld ferme ses portes.

La période difficile que connaît le tango pour d’autres raisons menace le bandonéon dans son existence même. Il faudra attendre environ 20 ans pour que le bandonéon retrouve une certaine vigueur en raison de la diffusion massive de la musique d’Astor Piazzolla et de l’incorporation de l’instrument dans d’autres musiques où il n’était pas présent auparavant, principalement le jazz et la musique contemporaine.

Mais quand on parle du bandonéon, de quel instrument s’agit-il exactement ?
Les instruments de musique regroupés sous un terme générique comportent en réalité de nombreuses variantes. Le piano par exemple, terme générique, regroupe différentes sortes : le piano-forte précurseur du piano, le piano à queue, le 3/4 de queue, le crapaud, le double piano, etc.

Le bandonéon est un instrument à vent et à clavier appartenant à la famille des instruments à anches libres. Il en existe deux formes :

– L’uni-sonore dont le son est identique que le jeu soit fait en tirant ou en poussant. On l’appelle parfois système français car il a été créé par Louis Peguri en 1925 dans un contexte musical très précis, à savoir le musette dont on raffolait notamment dans les guinguettes de Nogent-sur-Marne et Joinville-le-pont. Le système symétrique des claviers permettait un usage plus facile et ne nécessitait pas un enseignement important, encore moins la connaissance d’une méthode fondée sur la tradition.

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En 1927, Ernest Kusserov élabore un bandonéon assez proche du précédent, la main droite étant uni sonore, la main gauche chargée des accords.

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Modèle Kusserov

Le bi-sonore, dont le son est différent selon que l’on tire ou que l’on pousse, d’où une difficulté plus grande pour en jouer que le bandonéon uni-sonore. Ce système est le plus répandu et constitue la norme depuis 1929 quand Alfred Arnold commercialise le AA à 142 voix (donc 71 boutons) avec un système de claviers très précis – le Rheinische Lage -, dit encore  » argentin » car il a très vite été adopté par les bandonéonistes argentins. Dans les deux cas ils sont chromatiques (ils comportent les 7 tons de la gamme et les 5 demi-tons).

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Alfred Arnold (1878-1933)

Cet instrument se compose de plusieurs parties.

Deux caisses d’harmonie situées aux extrémités du soufflet. Elles sont en bois, vernis au tampon et parfois incrustées de nacre.

Les claviers qui couvrent presque six octaves sont composés de boutons rentrants collés sur des leviers qui actionnent des clapets qui laissent entrer l’air. Ce dernier libéré met les lames en vibration.

Source Benjamin Szvalb

Mécanisme interne. (Source Benjamin Szvalb)

Une sangle est présente sur chaque clavier qui limite les mouvements de la main (seuls les pouces sont libres), d’où un rapprochement important des boutons, disposés en rangées étagées et courbées pour plus de facilité.

Le bandonéon est un exemple extrêmement rare, peut-être même le seul, où les mains ne sont pas totalement libres mais apparaissent entravées.

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Un bouton commande une seule note. Le clavier gauche est destiné aux graves, le droit aux aigus.

L’emprisonnement des mains et l’unicité de la note pour chaque bouton sont donc deux points distinctifs de l’accordéon qui dispose d’une sangle qui passe dans le cou et de touches d’accords.

Les lames en acier sont vissées sur des plaques de zinc ou duralumin (alliage à base d’aluminium découvert en 1908). Le son qu’elles émettent est différent selon leur taille. Le son est d’autant plus grave qu’elles sont longues et larges.

Laurent Jarry, fondateur de « La boîte d’accordéon » à Montreuil, est l’auteur d’un livre particulièrement intéressant et richement illustré sur ce domaine.

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Le soufflet est évidemment étanche.
Il peut être tiré ou poussé. Tiré, il peut atteindre un mètre de long. On joue de cet instrument assis ou debout ce qui n’est pas neutre sur la technique de jeu et le son.
Le jeu debout a surtout été pratiqué par Astor Piazzolla avec un pied posé sur une caisse ou un tabouret. Le principal avantage est un son obtenu plus ample et fort en tirant mais, en contrepartie, le contrôle sonore est plus complexe et le jeu en poussant plus difficile.

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Astor Piazzolla

Les aspects historiques et techniques sont intéressants mais ce qui est plus fondamental et plus enrichissant est de connaître et de comprendre le rôle contributif du bandonéon sur le plan musical et les changements qu’il a apportés qui sont considérables.

Quand le bandonéon apparaît dans ce genre musical, les structures sont déjà bien établies après une évolution qui a été, somme toute, de courte durée. À l’omnipotence de la guitare et de la flûte qui s’expliquait en partie par le côté itinérant des musiciens et par le côté pratique et peu coûteux de ces instruments, le spectre instrumental s’est enrichi avec le violon, puis plus tard par l’adjonction du piano quand le tango a perdu son côté nomade.

Cette stabilité des instruments qui n’étaient pas si nombreux au demeurant, avait déterminé une esthétique musicale qui se caractérisait par une musique rapide, voire très vive, rappelant la habanera. L’incorporation du bandonéon dans le tango à l’aube du XXe siècle a complètement changé la donne et apporté des modifications radicales qui trouvent leur origine dans les caractéristiques du jeu de cet instrument.

Elles concernent deux aspects majeurs : le rythme et la structure sonore de l’orchestre. En raison des caractéristiques techniques du bandonéon, son jeu et son activation sonore sont plus lents. Par voie de conséquence, le rythme général du tango s’en est trouvé globalement ralenti. De façon plus générale, les compositeurs ont nécessairement tenu compte de cet état de fait et adapté leur écriture compositionnelle aux possibilités de l’instrument et aux capacités humaines pour jouer de cet instrument.

Le son propre du bandonéon, notamment la mélancolie de son chant, sa richesse harmonique, la faculté de jouer des notes avec une intensité variable, ont défini une couleur expressive qui traduisait le mieux les sentiments et le climat général de cette musique.

Le rapport des instruments entre eux a été conséquemment modifié et s’est considérablement accentué quand le rôle du bandonéon des débuts, limité au simple jeu de la mélodie, a acquis une fonction de marquage rythmique puis une quasi-autonomie avec des arrangements et embellissements de plus en plus compliqués dont le point culminant est constitué par l’introduction des solos par Julio De Caro et Pedro Laurenz, amplifiés et exécutés à un degré paroxystique par Astor Piazzolla des années plus tard. On passe alors du bandonéon considéré comme simple accompagnateur, au bandonéon virtuose adepte des pyrotechnies sonores avec les grands noms de la première moitié du XXe siècle comme Ciriaco Ortiz, Eduardo Arolas, Juan Maglio, Pedro Maffia, Pedro Laurenz, etc., auxquels succéderont Aníbal Troilo, Astor Piazzolla, Leopoldo Federico, Juan José Mosalini, etc.

La conséquence majeure est aussi une évolution sur l’apprentissage de l’instrument et la connaissance théorique de la musique. Majoritairement appris en autodidacte et sans connaissance du solfège au début, les bandonéonistes chargés de l’exécution de passages ou solos de plus en plus complexes et écrits vont se professionnaliser et ne pourront plus faire l’économie de suivre un enseignement poussé, d’où les écoles spécialisées qui se créent comme celle d’Antonio Ríos (1917-1991) à Rosario et celle de Marcos Madrigal (1916-2010) à Buenos Aires, bien éloignées de la méthode rapide de Heinrich Band.

Une des explications de la supériorité des musiciens argentins du premier tiers du XXe siècle, s’explique en grande partie par un apprentissage de la musique sur le plan théorique mais aussi pratique, alors que les musiciens français, moins formés, avaient des lacunes pouvant s’avérer rédhibitoires en présence de partitions non seulement écrites mais très détaillées ne laissant aucune place à l’improvisation.

Un autre point à noter concerne la place privilégiée du bandonéon aussi bien dans la musique instrumentale que chantée, égal bonheur que l’on ne retrouve pas nécessairement avec d’autres instruments. L’explication réside dans le phrasé de l’instrument qui repose sur une vaste panoplie de modulations ayant un éventail sonore proche de celui de la voix humaine et riche en harmoniques.

L’évolution du bandonéon tant dans la facture de l’instrument que dans les bouleversements esthétiques qu’il a introduit dans le tango argentin sont à mettre en relation avec les aspects généraux de l’évolution musicale car la sienne est originale à plus d’un titre ; elle s’en démarque de façon notoire.

S’agissant de la facture du bandonéon, même s’il est vrai qu’il y a eu une évolution (nombre de voix à titre principal, disposition des rangées de boutons, etc.), cet instrument a été relativement peu modifié depuis l’adoption du standard opéré en 1929 par tous les grands bandonéonistes. On trouve parfois des particularités répondant à un besoin très précis qui s’explique le plus souvent par un contexte spécifique. De même que Julio de Caro jouait d’un violon métamorphosé (le violon à cornet qui lui était si cher qu’il a composé A mi violin corneta) qui s’expliquait par la recherche d’une amplification du son pour mieux se faire entendre, à l’instar des violonistes de musique classique enregistrant des concertos, on trouve des bandonéons particuliers et originaux comme le bandonéon-trompette de 1915 qui ont toutefois plus valeur d’originalité et de curiosité étant donné que les techniques de sonorisation et d’amplification du son les ont rendu obsolètes.

1915

Bandonéon-trompette

On peut même avancer que les bandonéonistes ont suivi les créations techniques des facteurs d’instruments. On est donc loin de la situation des musiciens qui imaginèrent un son précis supposant la création d’un instrument entièrement nouveau comme le fit Richard Wagner qui recherchait un son spécifique pour sa Tétralogie dont les vœux seront exaucés par Adolphe Sax en 1876 qui a créé le Wagner tuba (cor à double piston enroulé à la façon d’un tuba), ou des musiciens qui collaboraient avec des facteurs d’instruments comme Beethoven qui propose à Erard en 1803 d’apporter des modifications sur un piano, de Liszt qui commande un piano à ce même Érard ou de Chopin qui travaille étroitement avec Pleyel.

Cette collaboration arrive encore de nos jours mais est très rare. Ainsi un brevet a été déposé en 2014 concernant le Veme dont le son, inexistant jusqu’alors, se situe entre le gong et la timbale, fruit d’une étroite collaboration entre un élève ingénieur et un musicien de l’Orchestre National de Lorraine.

L’évolution du bandonéon s’inscrit plutôt dans la lignée des innovations technologiques qui ont permis à partir d’un instrument déjà existant, un enrichissement du jeu instrumental comme cela s’était produit pour des instruments à vent comme la flûte avec l’introduction en 1832 du système des clés de Théobald Böhm, adapté par la suite à la clarinette, au hautbois et au saxophone, ou l’introduction du piston pour les cuivres en 1815, de la sourdine pour la trompette (si chère à Francisco Canaro à une époque de sa carrière dont la présence suffit à elle seule à déterminer l’époque de l’enregistrement du morceau) qui en transforme le timbre au-delà de sa fonction d’atténuation du son, du piano avec la mécanique à double échappement d’Erard qui a permis à partir de 1822 la répétition rapide d’une note, du pédalier du piano à queue d’Erard en 1810.

Parfois c’est une invention isolée complètement étrangère à la musique et le plus souvent liée au domaine industriel qui est utilisée dans la facture d’instruments et qui se traduit immédiatement par une sonorité inédite. Ce fut le cas pour le piano avec les cordes filées de cuivre dont s’est servi Henri Pape en 1813, du feutre pour les têtes de marteaux en 1826, des cordes en acier trempé dès l’année suivante qui permettaient une traction beaucoup plus forte, et évidemment des huit octaves du premier piano à queue en 1844. Ainsi que l’on peut le constater, un instrument comme le piano à beaucoup plus évolué en 34 ans que ne l’a fait le bandonéon en plus d’un siècle.
À cet égard, les musées dédiés aux instruments de musique, outre le monde merveilleux et généralement très beau qu’ils révèlent, présente en outre l’intérêt majeur de montrer concrètement les changements successifs intervenus dans les familles d’instruments avec leurs variantes (voir note 2).

Parfois la musique évolue en très étroite relation avec un changement majeur au sein de la société ou une innovation étrangère à la musique.
Avant la Renaissance, la musique était essentiellement d’origine religieuse avec pour seule langue le latin. Avec la Renaissance, et surtout avec le protestantisme, on assiste à l’abandon du latin dans le cadre de la musique chantée par les religieux comme c’était le cas dans l’Église catholique, et à l’apparition du chant en allemand avec un nouveau répertoire : le choral pour les luthériens et le chant des psaumes en milieu réformé.

La naissance de l’imprimerie permet une diffusion en grand nombre de la musique qui ne reste plus limitée au monde religieux mais devient de plus en plus profane.

Plus tard, au XVIIIe siècle, le développement de l’édition musicale amplifiera considérablement le phénomène d’extension de la musique.

Dans la musique en générale, l’introduction d’instruments nouveaux ou largement modifiés ne s’est pas traduite par un rôle prédominant mais plus par une évolution sonore qui préservait ou agençait différemment un équilibre musical.
Ainsi, l’extension de la palette des percussions, l’utilisation des cuivres de manière systématique, l’introduction du cor anglais, du piccolo, de la clarinette basse dans la musique romantique au XIXe siècle, n’ont pas révolutionné la couleur (même s’ils l’on fait évoluer) vers une nouvelle esthétique.

L’introduction du bandonéon dans le tango et ses conséquences sont originales car on a assisté en 1910 à un bouleversement de l’esthétique musicale du tango à un double niveau : le jeu lent imposé par la mécanique de l’instrument et surtout la place du bandonéon parmi les autres instruments traditionnels s’est traduite par une importance de plus en plus grande pour devenir majeure et en faire l’instrument-roi du tango, phénomène très rare dans la musique en général.

La situation est bien différente pour des instruments plus anciens. Le violon n’est pas associé obligatoirement à un genre musical précis. Pour certains, il évoque la musique classique avec toutes les sous-catégories (sonate, quatuor, concerto, symphonie par exemple). Pour d’autres, il est associé au jazz. Le même raisonnement vaut pour le piano et bien d’autres instruments.
Le bandonéon, au contraire, est presque toujours associé au tango argentin et nombreuses sont les personnes qui sont étonnées quand elles apprennent que la musique classique contient des œuvres centrées sur lui. Astor Piazzolla à cet égard, est considéré tout autant comme un musicien de tango que comme un musicien classique (ce qu’il rêvait d’être et que d’une certaine façon, il est devenu, son compositeur préféré était Jean-Sébastien Bach, etc. ; voir article sur Piazzolla pour en connaître les raisons) car toute une partie de son œuvre, et sans doute la plus accomplie musicalement, ne s’inscrit pas dans le tango argentin, et le fait est que ses œuvres sont beaucoup plus jouées dans les salles de concerts dédiées à la musique classique et les scènes lyriques.


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Dès lors que le bandonéon a agi à contre-courant de l’évolution musicale générale, il reste à s’interroger sur les raisons de cet état de fait.

La principale explication réside dans l’adéquation totale et identificatoire de l’instrument avec le climat, la couleur générale du tango qu’il soit instrumental ou chanté. Son timbre, son ambitus sonore, sa tristesse, ses possibilités de modulation correspondent non seulement le mieux aux sentiments et à la poésie du tango mais la renforce. L’identification est donc totale.

Ces éléments d’analyse ne sont pas suffisants et il convient de pousser la réflexion encore plus loin pour s’interroger sur la spécificité du bandonéon et les raisons de son identification totale au tango, identification qui n’est partagée par aucun autre instrument de musique à ce point-là. Il règne donc en maître.

« Le tango est une pensée triste qui se danse » disait Enrique Discépolo, phrase qui met en exergue le côté musical et intellectuel du tango et montre, a contrario, ce que l’on perd en dansant le tango sur des musiques qui lui sont étrangères.

Le tango charme l’oreille mais il émeut aussi et surtout, il instruit. Le son du bandonéon est plaisant et capte l’ouïe de façon instantanée.

Sa riche couleur du grave à l’aigu, la richesse de ses variations, son timbre émeuvent et créent un pathos musical.
Tout à la fois, il dessine et colorise ce qui apporte un enrichissement et donne un sens à la musique.

Par ses couleurs chaudes et profondes, le bandonéon donne une touche musicale sensualiste qui est immédiatement perceptible alors que le ciselé de ses dessins sonores apportent un aspect intellectualiste à sa musique d’autant plus marqué quand le bandonéon n’est pas cantonné aux scansions rythmiques (entre le marquage rythmique du bandonéon choisi par Juan d’Arienzo dans les années 1960 et le discours musical d’Astor Piazzolla durant ces mêmes années, la différence est notable, avec toutes les situations intermédiaires). On retrouve appliquée à la musique la conception qui opposait en peinture, au XVIIe siècle, les partisans du dessin propice à la réflexion, aux adeptes de la couleur plus apte selon eux à faire ressortir le sensualisme.

D’une certaine façon, le bandonéon synthétise l’hédonisme et l’intellectualisme. L’émotion est dès lors constante dans son discours musical et place l’auditeur dans un univers de sensations, imaginations et de sensibilité.

La musique n’étant pas un art d’imitation, il est normal que l’imagination soit fortement sollicitée parce que les sons, invisibles naturellement, sont impropres à décrire comme peut le faire la peinture par ses moyens visuels.
Les œuvres musicales suffisamment éloquentes pour susciter une vision immédiate sont somme toute rares. On peut citer certaines parties de la 6e Symphonie dite Pastorale de Beethoven, le Requiem de Verdi (le Dies irae, jour de colère), Simon Boccanegra de Verdi (le début du deuxième acte qui évoque les vagues), Tosca de Puccini (le lever du jour au troisième acte), La Mer de Debussy, etc., certaines parties de tangos comme El amanecer (en tout cas la fin qui évoque le chant des oiseaux à l’aube, Fuegos artificiales, etc., sont parlantes). Mais combien d’œuvres magnifiques sont ressenties de façon différente par les auditeurs bien que des indications écrites du compositeur précisent leur signification ou ce qu’elles sont censées évoquer (voir note 3) ?

La particularité du bandonéon est que cette caractéristique de susciter l’imagination ou le rêve est très importante et marquée. De même que dans l’Epître aux Pisons plus connu sous le nom d’Art Poétique, Horace estimait dans sa théorie de l’Ut pictura poesis que le poète devait utiliser toute la puissance des images du langage en agençant les mots de façon à ce que l’auditeur parvienne à avoir conscience d’une scène et non pas seulement l’écoute d’un simple récit, le bandonéon par l’intermédiaire des notes et de la musique parvient à créer un puissant univers d’images et d’évasion qui va au-delà du plaisir de l’oreille.

Un fait social est intéressant à observer (surtout dans les transports en commun) pour corroborer ce point : la majorité des personnes pour « s’évader » choisissent plutôt d’écouter de la musique que de regarder la reproduction d’un tableau dans un livre, comme si l’évidence des signes objectifs et clairs de la peinture avaient moins de force imaginative que les sons invisibles de la musique.

À la dimension purement sonore et formelle, hédoniste, s’ajoute une dimension signifiante et intellectuelle où prédominent les représentations mentales variables selon les personnes en fonction de la subjectivation des sensations. Il est intéressant de noter à ce sujet qu’Astor Piazzolla faisait appel au religieux et au sacré quand il disait notamment  » le bandonéon a un son de velours, un son religieux. Il est fait pour jouer de la musique triste ».


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Ainsi, il apparaît que le bandonéon conjugue les deux aspects essentiels de l’art que Kant rappelait en écrivant « les Beaux-Arts ne doivent pas se contenter de beauté formelle ». La beauté sonore du bandonéon, renforcée par une spiritualité confine au sacré et donne à sa musique le caractère sublime, notion supérieure à celle du beau (cf. article sur le sensible et intelligible), la réunion des deux formant la beauté absolue, cette « noble simplicité et calme grandeur » que décrivait Winckelmann dans ses Réflexions sur l’imitation des œuvres grecques en peinture et en sculpture (1755). Cette beauté absolue où l’aspect distrayant et plaisant, lié à la profondeur de l’œuvre, est un élément fondamental qui permet de différencier ce que l’on appelle parfois la petite et la grande musique, la petite et la grande littérature, etc., sauf à considérer que toutes les œuvres se valent, étant juste différentes comme on l’entend parfois, ce qui aboutit à ce qu’une œuvre sans intérêt dont on n’entendra plus parler dans moins de 10 ans soit considérée parfois comme l’égale d’une œuvre admirée depuis des siècles, au seul prétexte qu’elle est le fruit d’un processus créatif…

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La musique qui plaît, émeut et instruit à l’image de l’art en général est un des principaux facteurs explicatifs de la volonté destructrice des régimes totalitaires qui s’en prennent toujours aux artistes en vue de les anéantir qu’ils soient musiciens, peintres, sculpteurs ou écrivains dont les œuvres, si elles sont talentueuses, distraient mais invitent aussi à la réflexion. Miguel Ángel Estrella, pianiste classique célèbre et spécialiste de Chopin, pour simplement avoir voulu démocratiser la musique et la rendre accessible à tous, a été arrêté et torturé. Le bandonéon n’a pas échappé à la règle et le tango aussi dans sa globalité à une certaine époque. En 1935, l’Allemagne interdit les clubs de bandonéon notamment parce que ceux-ci comportaient de nombreux communistes. Le coup d’état militaire de 1955 en Argentine prohibe le tango.

La place du bandonéon dans le tango argentin est si prégnante depuis des décennies qu’il est difficilement concevable de ne pas faire appel à ses sonorités si particulières dont le jeu de quelques notes place l’auditeur et le danseur dans l’univers du tango. Et pourtant, instrument emblématique de cette musique qu’il a en outre structurée, son avenir est menacé et incertain. On dénombre environ 20 000 bandonéons dont seulement 1/10 sont en état de fonctionner (soit moins de 10% des bandonéons exportés en Argentine durant les années 1920 !). Même si une détermination précise est difficile à établir, l’ordre de grandeur suffit à alarmer. C’est en ce sens que l’on peut analyser la loi Argentine du 28 octobre 2009 (bulletin officiel du 20 novembre 2009, nº 31785) qui crée un régime de protection et de promotion du bandonéon dont le but clair est de protéger cet instrument, élément fondamental de la culture argentine, en instituant un droit de préemption de l’État pour éviter la dispersion de cet instrument dans les mains de non musiciens (touristes, collectionneurs, financiers, etc.) qui en achètent mais ne savent pas le faire chanter comme le montrait le président de l’Académie Nationale du Tango, Horacio Ferrer.

Le risque est donc grand de voir le bandonéon devenir à terme un simple objet, muet et inerte, alors que c’est un objet vivant fait pour chanter, chargé d’une riche histoire culturelle et musicale à la forte charge symbolique. Bien entendu, au sens matériel c’est un objet mais l’histoire lui a fait atteindre une autre dimension.
Il est devenu un objet de mémoire au sens où l’entend Pierre Nora, selon qui un objet devient « lieu de mémoire quand une collectivité le réinvestit de son affect et de ses émotions ».

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NOTES

1) Hector Berlioz (1803-1869), compositeur célèbre (Symphonie Fantastique, Les Troyens, Nuits d’été, etc.) mais qui était aussi critique musical et écrivain (Études sur Beethoven, Gluck et WeberÀ travers chants, etc.) s’est intéressé au concertina anglais et allemand, sa préférence allant à ce dernier. On lui doit une analyse lumineuse et particulièrement fine du concertina, notamment dans ses rapports avec les autres instruments, publiée dans le Journal des Débats du 15 janvier 1856.

Texte intégral de l’analyse en cliquant ici.

 2) Bergen, deuxième ville de Norvège où le grand pianiste Leif Ove Andsnes a étudié, dispose d’un musée dédié au bandonéon particulièrement riche.

3) Dans la Symphonie Fantastique de Berlioz, la deuxième partie fait tout de suite penser à Un Bal comme il est écrit. Mais la troisième partie est loin d’avoir la même puissance d’évocation pour immédiatement faire songer à une Scène aux Champs.

Dans la 6è Symphonie de Beethoven, dite Pastorale, il n’est pas certain que l’on songe, à l’écoute du troisième mouvement, à une Joyeuse assemblée de paysans alors que le quatrième mouvement, Tonnerre-Orage, fait tout de suite penser à un orage qui menace et qui éclate et même à la sérénité qui suit quand le temps devient apaisé.

Dans Tableaux d’une exposition de Moussorgski, le dernier mouvement grandiose et puissant a peu de chance de faire penser à La Grande Porte de Kiev.

Quant au tango, les œuvres sont très majoritairement loin d’avoir un rapport direct entre leur titre et ce que l’on entend : il y a peu de probabilités que l’écoute de 9 de Julio, Francía, Noches de Montmartre, Una noche en el Garrón, Canaro en Paris, Pabellón de las Rosas (cabaret de Buenos Aires), Sans Souci (cabaret parisien), etc., fassent penser à ce que le titre avance.

Cela n’enlève rien à la beauté de toutes ces œuvres.

https://www.elicci.fr/bandoneon-histoire-pratique-utilisation/

LE BANDONÉON, UN SON DE CŒUR

Le Bandonéon est instrument de musique passionnant tant son histoire et son répertoire sont vastes et riches.

Laissons plutôt la parole à l’un de ses plus grands maîtres, l’argentin Astor Piazzolla, formé auprès des musiciens et pédagogues les plus marquants, comme Nadia Boulanger ou Aníbal Troilo. Il est l’un des principaux rénovateurs du Tango dont beaucoup, dans les années 1950 avaient annoncé les funérailles et le considéraient comme mort et enterré.

Portrait d’Astor Piazzolla, le grand maestro du bandonéon

 

HISTOIRE ET PRATIQUE DU BANDONÉON

Voici un extrait d’une interview accordée par Astor Piazzolla à la BBC en 1989 :

A. P. – « Le Bandonéon fut créé en 1854 en Allemagne afin de jouer de la musique religieuse, de la musique d’église. N’ayant plus d’argent pour acheter un orgue ou un harmonium et les allemands inventèrent cet instrument. Il était alors apellé Bandonium. […] Un grand nombre de marins jouaient de cet instrument lorsqu’ils montaient à bord. Et c’est ainsi qu’il est arrivé en Argentine où ils commencèrent à en jouer dans les maisons de plaisirs. Mais des accordéonistes italiens adoptèrent rapidement cet instrument afin de pouvoir interpréter des tangos parce qu’il avait un son très mélancolique, un son velouté. L’accordéon a un son joyeux alors que le bandonéon n’a rien de gai en lui. »

Question de l’interviewer – Comment en joue-t-on, que fait-on avec chaque main ?

A. P. – « A la main gauche, il y a les basses, et la main droite est similaire à un violon. C’est comme un quartet à corde.»

Question de l’interviewer – Il ne joue pas d’accords ?

A. P. – « Si. Pas un seul comme avec l’accordéon. Si vous voulez un accord, vous devez utiliser tous vos doigts. Nous avons seulement quatre doigts de chaque coté et les pouces pour tenir l’instrument. Les accords sont créés note par note. Vous obtenez des accords de huits notes. C’est assez difficile. Par exemple, lorsqu’à la main droite, vous faites une gamme en ouvrant le soufflet le bouton faisant sonner la note do, donne un ré en fermant le soufflet. Pour ontenir le même do en fermant le soufflet il faut acctionner un autre bouton. De même la main gauche possède une configuration de sons en ouvrant et une différente en fermant le soufflet. Les cotés droit et gauche sont totalement differents et indépendants. C’est pour cette raison que cet instrument est d’une grande complexité. […]. »

D’abord instrument religieux en Allemagne, le bandonéon est devenu l’instrument typique du tango argentin.

 

DE LA MUSIQUE D’ÉGLISE AU TANGO, UN SON DE VELOURS

Après cet éclairage technique d’Astor Piazzolla, ajoutons que le bandonéon dispose d’un très large répertoire qui va de la musique religieuse à la musique classique, en passant par le folklore d’Allemagne, d’Europe du Nord, et de tous les pays du bassin du Rio de la Plata en allant jusque dans les hauteurs des plateaux andins avec le Chamamé par exemple. Il permet aussi d’interpréter des danses, musiques et chansons populaires françaises (bal musette) et du monde entier (Balkans, Moyen Orient…), du jazz et des œuvres contemporaines.

Néanmoins, ce qui marque profondément le bandoneon reste tout de même sa place prépondérante au sein du Tango. Il aura su séduire des grands maîtres de cet instrument, souvent aussi compositeurs de renom comme Francisco Canaro, Enrique Santos Disceplo, Anibal Troilo, Astor Piazzolla, et plus près de nous Ruben Juarez, Daniel Binelli, Dino Saluzzi, César Stroscio, Juan Jose Mosalini, et tant d’autres.

Tendre et profond, le son du bandonéon est une célébration à ce qui raisonne de plus évident et de plus sincère en nous : la vie, la mort et l’amour que l’on porte à ceux qui nous entourent, à qui l’on tient parfois, souvent, plus qu’à nous mêmes.

Annie Kouyoumdjian

L’AVIS D’ELICCI

Le bandonéon est donc un instrument qui se prête particulièrement bien à l’accompagnement musical des obsèques :

– pour les enterrements religieux, il peut remplacer l’orgue si la paroisse n’en dispose pas

– pour tous types de funérailles, civiles comme religieuses, car il procure un son chaud et rond avec une large palette de nuances, ce qui est propice à l’expression des émotions les plus profondes. Et comme le dit Astor Piazzolla : «le bandonéon n’a rien de gai en lui».

QUELQUES IDÉES DE MUSIQUES POUR OBSÈQUES AU BANDONÉON :

Adios Nonino, d’Astor Piazzolla, pour une cérémonie religieuse ou civile :

 

Cet Aria de Bach pour une messe de funérailles :

 

Dans un style bal musette / chanson populaire française pour une inhumation au cimetière :

INTERVIEW COMPLÈTE D’ASTOR PIAZZOLLA PAR LA BBC EN 1989 :

LE BANDONÉON ET LES MARINS
Le bandonéon et les marins | Maison de la Radio
Bandonéon – Photo : wikimedia
« Le souffle du bandonéon avale mes poignets », fait dire Étienne Roda-Gil à Julien Clerc dans une célèbre chanson dont la musique est signée Astor Piazzolla. Le bandonéon est en effet un instrument à vent muni d’un soufflet, et d’un clavier permettant de commander le passage de l’air, lequel fait vibrer des lamelles de métal. Le bandonéon, en un sens, est autant un harmonica qu’un accordéon. Apparu en Allemagne vers 1840, l’instrument s’appellerait ainsi du nom d’un certain Heinrich Band, qui se serait emparé du concertina de Carl Friedrich Uhlig, l’aurait grandement perfectionné, et aurait ainsi inventé le bandonion. Ledit instrument aurait ensuite traversé l’Atlantique à la suite d’une méprise : conçu pour évangéliser les masses, tel un orgue portatif, il aurait en réalité trouvé sa place dans les quartiers chauds de Buenos Aires grâce à des marins venus de Hambourg. Lesquels, mais c’est une autre histoire, ont aussi importé en Amérique le hamburger.
 
Le bandonéon est aujourd’hui l’instrument emblématique du tango argentin. Cela n’a pas été toujours le cas. Sa seule évocation suffit à susciter une atmosphère musicale, poétique, un univers de sensations.

À l’image de ce genre musical où se mêlent doutes et approximations sur ses origines, et même sur son nom, le bandonéon est parfois entouré de mystère.

Cet instrument de musique contrairement à d’autres, n’a pas été créé à partir d’une idée entièrement nouvelle. Il est plutôt le fruit d’une évolution d’un instrument – le concertina allemand – de Carl Friedrich Uhlig (1789-1874), originaire de Chemnitz (ville située dans l’ouest de la Saxe), répondant à un besoin musical, à savoir une demande d’extension de la tessiture du concertina et pour pouvoir jouer dans toutes les tonalités (voir note 1).

À cet égard, il se distingue des évolutions musicales où ce n’était pas l’extension du spectre sonore qui était recherché mais une plus grande vitesse ou virtuosité de l’exécution musicale.

Heinrich Band

C’est dans ce contexte qu’Heinrich Band qui était à la tête d’un magasin d’instruments de musique à Crefeld (Krefeld avant 1929 d’où les variations d’orthographe dans les différentes sources) a conceptualisé un nouveau système de clavier. Zimmermann sur la base de ce nouveau concept fabrique aussi l’instrument en 1850 à Carlsfeld (un Carlsfeld Konzertina) mais c’est Heinrich Band qui le commercialise et le perfectionne sur le fondement d’une politique commerciale intelligente (certains diraient rusée) consistant à créer une chaîne de ventes aux fortes élasticités croisées (partitions, instruments sous la marque Band-Union, cours, méthode annoncée comme rapide et simple à la portée de tous).

Aussi incroyable que cela puisse paraître, ni l’un ni l’autre ne dépose un brevet et ne revendique la paternité de l’instrument créé.

« Méthode d’accordium contenant un enseignement facile pour apprendre à jouer l’accordium en très peu de temps même sans maître, aussi pour les amateurs qui n’ont pas encore de connaissance de musique »

On trouve la présence de cet instrument à l’Exposition universelle de Londres en 1851 (une source avance même sa présence à l’Exposition industrielle et agricole de 1849 mais on peut nourrir quelques doutes sur le bien-fondé de cette affirmation).

En 1854, en hommage à Heinrich Band qui défendait ardemment cet instrument de musique, Zimmermann lui donne le nom de bandonéon. Dans les ateliers de Zimmermann travaillait Ernest Louis Arnold qui reprend l’affaire dix ans plus tard quand le gérant décide de s’installer aux États-Unis. À la mort d’Arnold, il laisse deux fils : Hermann, le fils aîné, prend la suite de son père, alors qu’Alfred monte sa propre affaire. Ernest Louis Arnold (ELA) et Alfred Arnold (AA) deviennent les deux plus importantes manufactures de bandonéons de l’histoire. Le « Doble A », expression utilisée pour désigner un bandonéon de la manufacture d’Alfred Arnold, suffira vite pour devenir le symbole de l’excellence de la fabrication de cet instrument.

Le bandonéon connaît un vif succès dans la mesure où il concerne deux domaines, et deux seulement : la musique sacrée jouée dans les églises car le coût plus faible de cet instrument permet de remplacer avantageusement l’orgue ou l’harmonium, et le folklore d’Europe centrale.

Toujours inconnu en Argentine, le bandonéon fait son apparition après, vers 1870, sachant que les conditions de son introduction sont imprécises et donnent lieu à des versions qui reposent plus sur des suppositions que sur des faits établis, clairs et précis, ne laissant aucune place au doute.

Le bandonéon serait apparu en Argentine, à Buenos Aires, quand un marin Irlandais ou Anglais l’aurait échangé contre une bouteille de whisky (parfois il est dit que ce marin aurait bien profité des nuits de Buenos Aires et que pour payer ses dettes de jeu, il aurait vendu son bandonéon dans un magasin qui aurait été ensuite acheté par un musicien portègne qui aurait appris à en jouer en autodidacte).

Pour certains, le bandonéon aurait été introduit par un Suisse en 1863, par un Brésilien en 1870, par un Allemand en 1900 !… Face à de multiples affirmations invérifiables et contradictoires, mieux vaut admettre que nous sommes en face d’une zone d’ombre et d’ignorance relative quitte à se réfugier dans la pensée de Pierre Dac (ô combien salvatrice !) selon qui une personne ignorante en saura toujours autant qu’une personne qui n’en sait pas plus qu’elle.

En 1895, on dénombre 18 clubs de bandonéons à Leipzig. En Argentine, et plus précisément à Buenos Aires, le bandonéon ne suscite pas immédiatement un engouement. Ainsi que l’écrivent Louis Peguri et Jean Mag en 1950 dans Du bouge… au Conservatoire, « même début difficile, même engouement par la suite. Comme l’accordéon à Paris, le bandonéon rencontra à Buenos Aires une hostilité persistante pendant quelques années ».

Durant l’entre-deux-guerres, on assiste à la plus importante fabrication de bandonéons, d’une part en raison de sa généralisation en Argentine, d’où une exportation massive (Alfred Arnold y exporte 25 000 bandonéons) et, d’autre part, d’un marché en forte croissance en France depuis la propagation du tango à Paris dans les années 1920, puis ensuite en Europe. La production est industrielle et donne lieu à une sous-traitance massive. Les usines de Carlsfeld et Klingenthal prédominent.


La Seconde Guerre mondiale porte un coup terrible au bandonéon non pas tant en raison du conflit car l’activité musicale se maintenait que des conséquences de la guerre et du nouveau visage de l’Europe sur le plan territorial et politique, notamment en Allemagne. La Saxe devient un land de la R.D.A. et les unités de production AA et ELA sont nationalisées par le régime communiste en 1949 et 1959 puis regroupées (ainsi que d’autres marques) sous la marque d’État Harmona. La fabrication baisse nettement en qualité et dès 1964, l’usine de Carlsfeld ferme ses portes.

La période difficile que connaît le tango pour d’autres raisons menace le bandonéon dans son existence même. Il faudra attendre environ 20 ans pour que le bandonéon retrouve une certaine vigueur en raison de la diffusion massive de la musique d’Astor Piazzolla et de l’incorporation de l’instrument dans d’autres musiques où il n’était pas présent auparavant, principalement le jazz et la musique contemporaine.

Mais quand on parle du bandonéon, de quel instrument s’agit-il exactement ?
Les instruments de musique regroupés sous un terme générique comportent en réalité de nombreuses variantes. Le piano par exemple, terme générique, regroupe différentes sortes : le piano-forte précurseur du piano, le piano à queue, le 3/4 de queue, le crapaud, le double piano, etc.

Le bandonéon est un instrument à vent et à clavier appartenant à la famille des instruments à anches libres. Il en existe deux formes :

– L’uni-sonore dont le son est identique que le jeu soit fait en tirant ou en poussant. On l’appelle parfois système français car il a été créé par Louis Peguri en 1925 dans un contexte musical très précis, à savoir le musette dont on raffolait notamment dans les guinguettes de Nogent-sur-Marne et Joinville-le-pont. Le système symétrique des claviers permettait un usage plus facile et ne nécessitait pas un enseignement important, encore moins la connaissance d’une méthode fondée sur la tradition.


En 1927, Ernest Kusserov élabore un bandonéon assez proche du précédent, la main droite étant uni sonore, la main gauche chargée des accords.

Modèle Kusserov

Le bi-sonore, dont le son est différent selon que l’on tire ou que l’on pousse, d’où une difficulté plus grande pour en jouer que le bandonéon uni-sonore. Ce système est le plus répandu et constitue la norme depuis 1929 quand Alfred Arnold commercialise le AA à 142 voix (donc 71 boutons) avec un système de claviers très précis – le Rheinische Lage -, dit encore  » argentin » car il a très vite été adopté par les bandonéonistes argentins. Dans les deux cas ils sont chromatiques (ils comportent les 7 tons de la gamme et les 5 demi-tons).

Alfred Arnold (1878-1933)

Cet instrument se compose de plusieurs parties.

Deux caisses d’harmonie situées aux extrémités du soufflet. Elles sont en bois, vernis au tampon et parfois incrustées de nacre.

Les claviers qui couvrent presque six octaves sont composés de boutons rentrants collés sur des leviers qui actionnent des clapets qui laissent entrer l’air. Ce dernier libéré met les lames en vibration.

Mécanisme interne. (Source Benjamin Szvalb)

Une sangle est présente sur chaque clavier qui limite les mouvements de la main (seuls les pouces sont libres), d’où un rapprochement important des boutons, disposés en rangées étagées et courbées pour plus de facilité.

Le bandonéon est un exemple extrêmement rare, peut-être même le seul, où les mains ne sont pas totalement libres mais apparaissent entravées.

 

Un bouton commande une seule note. Le clavier gauche est destiné aux graves, le droit aux aigus.

L’emprisonnement des mains et l’unicité de la note pour chaque bouton sont donc deux points distinctifs de l’accordéon qui dispose d’une sangle qui passe dans le cou et de touches d’accords.

Les lames en acier sont vissées sur des plaques de zinc ou duralumin (alliage à base d’aluminium découvert en 1908). Le son qu’elles émettent est différent selon leur taille. Le son est d’autant plus grave qu’elles sont longues et larges.

Laurent Jarry, fondateur de « La boîte d’accordéon » à Montreuil, est l’auteur d’un livre particulièrement intéressant et richement illustré sur ce domaine.

Le soufflet est évidemment étanche.
Il peut être tiré ou poussé. Tiré, il peut atteindre un mètre de long. On joue de cet instrument assis ou debout ce qui n’est pas neutre sur la technique de jeu et le son.
Le jeu debout a surtout été pratiqué par Astor Piazzolla avec un pied posé sur une caisse ou un tabouret. Le principal avantage est un son obtenu plus ample et fort en tirant mais, en contrepartie, le contrôle sonore est plus complexe et le jeu en poussant plus difficile.

Astor Piazzolla

Les aspects historiques et techniques sont intéressants mais ce qui est plus fondamental et plus enrichissant est de connaître et de comprendre le rôle contributif du bandonéon sur le plan musical et les changements qu’il a apportés qui sont considérables.

Quand le bandonéon apparaît dans ce genre musical, les structures sont déjà bien établies après une évolution qui a été, somme toute, de courte durée. À l’omnipotence de la guitare et de la flûte qui s’expliquait en partie par le côté itinérant des musiciens et par le côté pratique et peu coûteux de ces instruments, le spectre instrumental s’est enrichi avec le violon, puis plus tard par l’adjonction du piano quand le tango a perdu son côté nomade.

Cette stabilité des instruments qui n’étaient pas si nombreux au demeurant, avait déterminé une esthétique musicale qui se caractérisait par une musique rapide, voire très vive, rappelant la habanera. L’incorporation du bandonéon dans le tango à l’aube du XXe siècle a complètement changé la donne et apporté des modifications radicales qui trouvent leur origine dans les caractéristiques du jeu de cet instrument.

Elles concernent deux aspects majeurs : le rythme et la structure sonore de l’orchestre. En raison des caractéristiques techniques du bandonéon, son jeu et son activation sonore sont plus lents. Par voie de conséquence, le rythme général du tango s’en est trouvé globalement ralenti. De façon plus générale, les compositeurs ont nécessairement tenu compte de cet état de fait et adapté leur écriture compositionnelle aux possibilités de l’instrument et aux capacités humaines pour jouer de cet instrument.

Le son propre du bandonéon, notamment la mélancolie de son chant, sa richesse harmonique, la faculté de jouer des notes avec une intensité variable, ont défini une couleur expressive qui traduisait le mieux les sentiments et le climat général de cette musique.

Le rapport des instruments entre eux a été conséquemment modifié et s’est considérablement accentué quand le rôle du bandonéon des débuts, limité au simple jeu de la mélodie, a acquis une fonction de marquage rythmique puis une quasi-autonomie avec des arrangements et embellissements de plus en plus compliqués dont le point culminant est constitué par l’introduction des solos par Julio De Caro et Pedro Laurenz, amplifiés et exécutés à un degré paroxystique par Astor Piazzolla des années plus tard. On passe alors du bandonéon considéré comme simple accompagnateur, au bandonéon virtuose adepte des pyrotechnies sonores avec les grands noms de la première moitié du XXe siècle comme Ciriaco Ortiz, Eduardo Arolas, Juan Maglio, Pedro Maffia, Pedro Laurenz, etc., auxquels succéderont Aníbal Troilo, Astor Piazzolla, Leopoldo Federico, Juan José Mosalini, etc.

La conséquence majeure est aussi une évolution sur l’apprentissage de l’instrument et la connaissance théorique de la musique. Majoritairement appris en autodidacte et sans connaissance du solfège au début, les bandonéonistes chargés de l’exécution de passages ou solos de plus en plus complexes et écrits vont se professionnaliser et ne pourront plus faire l’économie de suivre un enseignement poussé, d’où les écoles spécialisées qui se créent comme celle d’Antonio Ríos (1917-1991) à Rosario et celle de Marcos Madrigal (1916-2010) à Buenos Aires, bien éloignées de la méthode rapide de Heinrich Band.

Une des explications de la supériorité des musiciens argentins du premier tiers du XXe siècle, s’explique en grande partie par un apprentissage de la musique sur le plan théorique mais aussi pratique, alors que les musiciens français, moins formés, avaient des lacunes pouvant s’avérer rédhibitoires en présence de partitions non seulement écrites mais très détaillées ne laissant aucune place à l’improvisation.

Un autre point à noter concerne la place privilégiée du bandonéon aussi bien dans la musique instrumentale que chantée, égal bonheur que l’on ne retrouve pas nécessairement avec d’autres instruments. L’explication réside dans le phrasé de l’instrument qui repose sur une vaste panoplie de modulations ayant un éventail sonore proche de celui de la voix humaine et riche en harmoniques.

L’évolution du bandonéon tant dans la facture de l’instrument que dans les bouleversements esthétiques qu’il a introduit dans le tango argentin sont à mettre en relation avec les aspects généraux de l’évolution musicale car la sienne est originale à plus d’un titre ; elle s’en démarque de façon notoire.

S’agissant de la facture du bandonéon, même s’il est vrai qu’il y a eu une évolution (nombre de voix à titre principal, disposition des rangées de boutons, etc.), cet instrument a été relativement peu modifié depuis l’adoption du standard opéré en 1929 par tous les grands bandonéonistes. On trouve parfois des particularités répondant à un besoin très précis qui s’explique le plus souvent par un contexte spécifique. De même que Julio de Caro jouait d’un violon métamorphosé (le violon à cornet qui lui était si cher qu’il a composé A mi violin corneta) qui s’expliquait par la recherche d’une amplification du son pour mieux se faire entendre, à l’instar des violonistes de musique classique enregistrant des concertos, on trouve des bandonéons particuliers et originaux comme le bandonéon-trompette de 1915 qui ont toutefois plus valeur d’originalité et de curiosité étant donné que les techniques de sonorisation et d’amplification du son les ont rendu obsolètes.

Bandonéon-trompette

On peut même avancer que les bandonéonistes ont suivi les créations techniques des facteurs d’instruments. On est donc loin de la situation des musiciens qui imaginèrent un son précis supposant la création d’un instrument entièrement nouveau comme le fit Richard Wagner qui recherchait un son spécifique pour saTétralogie dont les vœux seront exaucés par Adolphe Sax en 1876 qui a créé le Wagner tuba (cor à double piston enroulé à la façon d’un tuba), ou des musiciens qui collaboraient avec des facteurs d’instruments comme Beethoven qui propose à Erard en 1803 d’apporter des modifications sur un piano, de Liszt qui commande un piano à ce même Érard ou de Chopin qui travaille étroitement avec Pleyel.

Cette collaboration arrive encore de nos jours mais est très rare. Ainsi un brevet a été déposé en 2014 concernant le Veme dont le son, inexistant jusqu’alors, se situe entre le gong et la timbale, fruit d’une étroite collaboration entre un élève ingénieur et un musicien de l’Orchestre National de Lorraine.

L’évolution du bandonéon s’inscrit plutôt dans la lignée des innovations technologiques qui ont permis à partir d’un instrument déjà existant, un enrichissement du jeu instrumental comme cela s’était produit pour des instruments à vent comme la flûte avec l’introduction en 1832 du système des clés de Théobald Böhm, adapté par la suite à la clarinette, au hautbois et au saxophone, ou l’introduction du piston pour les cuivres en 1815, de la sourdine pour la trompette (si chère à Francisco Canaro à une époque de sa carrière dont la présence suffit à elle seule à déterminer l’époque de l’enregistrement du morceau) qui en transforme le timbre au-delà de sa fonction d’atténuation du son, du piano avec la mécanique à double échappement d’Erard qui a permis à partir de 1822 la répétition rapide d’une note, du pédalier du piano à queue d’Erard en 1810.

Parfois c’est une invention isolée complètement étrangère à la musique et le plus souvent liée au domaine industriel qui est utilisée dans la facture d’instruments et qui se traduit immédiatement par une sonorité inédite. Ce fut le cas pour le piano avec les cordes filées de cuivre dont s’est servi Henri Pape en 1813, du feutre pour les têtes de marteaux en 1826, des cordes en acier trempé dès l’année suivante qui permettaient une traction beaucoup plus forte, et évidemment des huit octaves du premier piano à queue en 1844. Ainsi que l’on peut le constater, un instrument comme le piano à beaucoup plus évolué en 34 ans que ne l’a fait le bandonéon en plus d’un siècle.
À cet égard, les musées dédiés aux instruments de musique, outre le monde merveilleux et généralement très beau qu’ils révèlent, présente en outre l’intérêt majeur de montrer concrètement les changements successifs intervenus dans les familles d’instruments avec leurs variantes (voir note 2).

Parfois la musique évolue en très étroite relation avec un changement majeur au sein de la société ou une innovation étrangère à la musique.
Avant la Renaissance, la musique était essentiellement d’origine religieuse avec pour seule langue le latin. Avec la Renaissance, et surtout avec le protestantisme, on assiste à l’abandon du latin dans le cadre de la musique chantée par les religieux comme c’était le cas dans l’Église catholique, et à l’apparition du chant en allemand avec un nouveau répertoire : le choral pour les luthériens et le chant des psaumes en milieu réformé.

La naissance de l’imprimerie permet une diffusion en grand nombre de la musique qui ne reste plus limitée au monde religieux mais devient de plus en plus profane.

Plus tard, au XVIIIe siècle, le développement de l’édition musicale amplifiera considérablement le phénomène d’extension de la musique.

Dans la musique en générale, l’introduction d’instruments nouveaux ou largement modifiés ne s’est pas traduite par un rôle prédominant mais plus par une évolution sonore qui préservait ou agençait différemment un équilibre musical.
Ainsi, l’extension de la palette des percussions, l’utilisation des cuivres de manière systématique, l’introduction du cor anglais, du piccolo, de la clarinette basse dans la musique romantique au XIXe siècle, n’ont pas révolutionné la couleur (même s’ils l’on fait évoluer) vers une nouvelle esthétique.

L’introduction du bandonéon dans le tango et ses conséquences sont originales car on a assisté en 1910 à un bouleversement de l’esthétique musicale du tango à un double niveau : le jeu lent imposé par la mécanique de l’instrument et surtout la place du bandonéon parmi les autres instruments traditionnels s’est traduite par une importance de plus en plus grande pour devenir majeure et en faire l’instrument-roi du tango, phénomène très rare dans la musique en général.

La situation est bien différente pour des instruments plus anciens. Le violon n’est pas associé obligatoirement à un genre musical précis. Pour certains, il évoque la musique classique avec toutes les sous-catégories (sonate, quatuor, concerto, symphonie par exemple). Pour d’autres, il est associé au jazz. Le même raisonnement vaut pour le piano et bien d’autres instruments.
Le bandonéon, au contraire, est presque toujours associé au tango argentin et nombreuses sont les personnes qui sont étonnées quand elles apprennent que la musique classique contient des œuvres centrées sur lui. Astor Piazzolla à cet égard, est considéré tout autant comme un musicien de tango que comme un musicien classique (ce qu’il rêvait d’être et que d’une certaine façon, il est devenu, son compositeur préféré était Jean-Sébastien Bach, etc. ; voir article sur Piazzolla pour en connaître les raisons) car toute une partie de son œuvre, et sans doute la plus accomplie musicalement, ne s’inscrit pas dans le tango argentin, et le fait est que ses œuvres sont beaucoup plus jouées dans les salles de concerts dédiées à la musique classique et les scènes lyriques.

Dès lors que le bandonéon a agi à contre-courant de l’évolution musicale générale, il reste à s’interroger sur les raisons de cet état de fait.

La principale explication réside dans l’adéquation totale et identificatoire de l’instrument avec le climat, la couleur générale du tango qu’il soit instrumental ou chanté. Son timbre, son ambitus sonore, sa tristesse, ses possibilités de modulation correspondent non seulement le mieux aux sentiments et à la poésie du tango mais la renforce. L’identification est donc totale.

Ces éléments d’analyse ne sont pas suffisants et il convient de pousser la réflexion encore plus loin pour s’interroger sur la spécificité du bandonéon et les raisons de son identification totale au tango, identification qui n’est partagée par aucun autre instrument de musique à ce point-là. Il règne donc en maître.

« Le tango est une pensée triste qui se danse » disait Enrique Discépolo, phrase qui met en exergue le côté musical et intellectuel du tango et montre, a contrario, ce que l’on perd en dansant le tango sur des musiques qui lui sont étrangères.

Le tango charme l’oreille mais il émeut aussi et surtout, il instruit. Le son du bandonéon est plaisant et capte l’ouïe de façon instantanée.

Sa riche couleur du grave à l’aigu, la richesse de ses variations, son timbre émeuvent et créent un pathos musical.
Tout à la fois, il dessine et colorise ce qui apporte un enrichissement et donne un sens à la musique.

Par ses couleurs chaudes et profondes, le bandonéon donne une touche musicale sensualiste qui est immédiatement perceptible alors que le ciselé de ses dessins sonores apportent un aspect intellectualiste à sa musique d’autant plus marqué quand le bandonéon n’est pas cantonné aux scansions rythmiques (entre le marquage rythmique du bandonéon choisi par Juan d’Arienzo dans les années 1960 et le discours musical d’Astor Piazzolla durant ces mêmes années, la différence est notable, avec toutes les situations intermédiaires). On retrouve appliquée à la musique la conception qui opposait en peinture, au XVIIe siècle, les partisans du dessin propice à la réflexion, aux adeptes de la couleur plus apte selon eux à faire ressortir le sensualisme.

D’une certaine façon, le bandonéon synthétise l’hédonisme et l’intellectualisme. L’émotion est dès lors constante dans son discours musical et place l’auditeur dans un univers de sensations, imaginations et de sensibilité.

La musique n’étant pas un art d’imitation, il est normal que l’imagination soit fortement sollicitée parce que les sons, invisibles naturellement, sont impropres à décrire comme peut le faire la peinture par ses moyens visuels.
Les œuvres musicales suffisamment éloquentes pour susciter une vision immédiate sont somme toute rares. On peut citer certaines parties de la 6e Symphonie dite Pastorale de Beethoven, le Requiem de Verdi (le Dies irae, jour de colère), Simon Boccanegra de Verdi (le début du deuxième acte qui évoque les vagues), Tosca de Puccini (le lever du jour au troisième acte), La Merde Debussy, etc., certaines parties de tangos comme El amanecer (en tout cas la fin qui évoque le chant des oiseaux à l’aube, Fuegos artificiales, etc., sont parlantes). Mais combien d’œuvres magnifiques sont ressenties de façon différente par les auditeurs bien que des indications écrites du compositeur précisent leur signification ou ce qu’elles sont censées évoquer (voir note 3) ?

La particularité du bandonéon est que cette caractéristique de susciter l’imagination ou le rêve est très importante et marquée. De même que dans l’Epître aux Pisons plus connu sous le nom d’Art Poétique, Horace estimait dans sa théorie de l’Ut pictura poesis que le poète devait utiliser toute la puissance des images du langage en agençant les mots de façon à ce que l’auditeur parvienne à avoir conscience d’une scène et non pas seulement l’écoute d’un simple récit, le bandonéon par l’intermédiaire des notes et de la musique parvient à créer un puissant univers d’images et d’évasion qui va au-delà du plaisir de l’oreille.

Un fait social est intéressant à observer (surtout dans les transports en commun) pour corroborer ce point : la majorité des personnes pour « s’évader » choisissent plutôt d’écouter de la musique que de regarder la reproduction d’un tableau dans un livre, comme si l’évidence des signes objectifs et clairs de la peinture avaient moins de force imaginative que les sons invisibles de la musique.

À la dimension purement sonore et formelle, hédoniste, s’ajoute une dimension signifiante et intellectuelle où prédominent les représentations mentales variables selon les personnes en fonction de la subjectivation des sensations. Il est intéressant de noter à ce sujet qu’Astor Piazzolla faisait appel au religieux et au sacré quand il disait notamment  » le bandonéon a un son de velours, un son religieux. Il est fait pour jouer de la musique triste ».

Ainsi, il apparaît que le bandonéon conjugue les deux aspects essentiels de l’art que Kant rappelait en écrivant « les Beaux-Arts ne doivent pas se contenter de beauté formelle ». La beauté sonore du bandonéon, renforcée par une spiritualité confine au sacré et donne à sa musique le caractère sublime, notion supérieure à celle du beau (cf. article sur le sensible et intelligible), la réunion des deux formant la beauté absolue, cette « noble simplicité et calme grandeur » que décrivait Winckelmann dans ses Réflexions sur l’imitation des œuvres grecques en peinture et en sculpture (1755). Cette beauté absolue où l’aspect distrayant et plaisant, lié à la profondeur de l’œuvre, est un élément fondamental qui permet de différencier ce que l’on appelle parfois la petite et la grande musique, la petite et la grande littérature, etc., sauf à considérer que toutes les œuvres se valent, étant juste différentes comme on l’entend parfois, ce qui aboutit à ce qu’une œuvre sans intérêt dont on n’entendra plus parler dans moins de 10 ans soit considérée parfois comme l’égale d’une œuvre admirée depuis des siècles, au seul prétexte qu’elle est le fruit d’un processus créatif…

La musique qui plaît, émeut et instruit à l’image de l’art en général est un des principaux facteurs explicatifs de la volonté destructrice des régimes totalitaires qui s’en prennent toujours aux artistes en vue de les anéantir qu’ils soient musiciens, peintres, sculpteurs ou écrivains dont les œuvres, si elles sont talentueuses, distraient mais invitent aussi à la réflexion. Miguel Ángel Estrella, pianiste classique célèbre et spécialiste de Chopin, pour simplement avoir voulu démocratiser la musique et la rendre accessible à tous, a été arrêté et torturé. Le bandonéon n’a pas échappé à la règle et le tango aussi dans sa globalité à une certaine époque. En 1935, l’Allemagne interdit les clubs de bandonéon notamment parce que ceux-ci comportaient de nombreux communistes. Le coup d’état militaire de 1955 en Argentine prohibe le tango.

La place du bandonéon dans le tango argentin est si prégnante depuis des décennies qu’il est difficilement concevable de ne pas faire appel à ses sonorités si particulières dont le jeu de quelques notes place l’auditeur et le danseur dans l’univers du tango. Et pourtant, instrument emblématique de cette musique qu’il a en outre structurée, son avenir est menacé et incertain. On dénombre environ 20 000 bandonéons dont seulement 1/10 sont en état de fonctionner (soit moins de 10% des bandonéons exportés en Argentine durant les années 1920 !). Même si une détermination précise est difficile à établir, l’ordre de grandeur suffit à alarmer. C’est en ce sens que l’on peut analyser la loi Argentine du 28 octobre 2009 (bulletin officiel du 20 novembre 2009, nº 31785) qui crée un régime de protection et de promotion du bandonéon dont le but clair est de protéger cet instrument, élément fondamental de la culture argentine, en instituant un droit de préemption de l’État pour éviter la dispersion de cet instrument dans les mains de non musiciens (touristes, collectionneurs, financiers, etc.) qui en achètent mais ne savent pas le faire chanter comme le montrait le président de l’Académie Nationale du Tango, Horacio Ferrer.

Le risque est donc grand de voir le bandonéon devenir à terme un simple objet, muet et inerte, alors que c’est un objet vivant fait pour chanter, chargé d’une riche histoire culturelle et musicale à la forte charge symbolique. Bien entendu, au sens matériel c’est un objet mais l’histoire lui a fait atteindre une autre dimension.
Il est devenu un objet de mémoire au sens où l’entend Pierre Nora, selon qui un objet devient « lieu de mémoire quand une collectivité le réinvestit de son affect et de ses émotions ».

NOTES

1) Hector Berlioz (1803-1869), compositeur célèbre (Symphonie Fantastique, Les Troyens, Nuits d’été, etc.) mais qui était aussi critique musical et écrivain (Études sur Beethoven, Gluck et WeberÀ travers chants, etc.) s’est intéressé au concertina anglais et allemand, sa préférence allant à ce dernier. On lui doit une analyse lumineuse et particulièrement fine du concertina, notamment dans ses rapports avec les autres instruments, publiée dans le Journal des Débats du 15 janvier 1856.

Texte intégral de l’analyse en cliquant ici.

 2) Bergen, deuxième ville de Norvège où le grand pianiste Leif Ove Andsnes a étudié, dispose d’un musée dédié au bandonéon particulièrement riche.

3) Dans la Symphonie Fantastique de Berlioz, la deuxième partie fait tout de suite penser à Un Bal comme il est écrit. Mais la troisième partie est loin d’avoir la même puissance d’évocation pour immédiatement faire songer à une Scène aux Champs.

Dans la 6è Symphonie de Beethoven, dite Pastorale, il n’est pas certain que l’on songe, à l’écoute du troisième mouvement, à une Joyeuse assemblée de paysans alors que le quatrième mouvement, Tonnerre-Orage, fait tout de suite penser à un orage qui menace et qui éclate et même à la sérénité qui suit quand le temps devient apaisé.

Dans Tableaux d’une exposition de Moussorgski, le dernier mouvement grandiose et puissant a peu de chance de faire penser à La Grande Porte de Kiev.

Quant au tango, les œuvres sont très majoritairement loin d’avoir un rapport direct entre leur titre et ce que l’on entend : il y a peu de probabilités que l’écoute de 9 de Julio, Francía, Noches de Montmartre, Una noche en el Garrón, Canaro en Paris, Pabellón de las Rosas (cabaret de Buenos Aires), Sans Souci (cabaret parisien), etc., fassent penser à ce que le titre avance.

Cela n’enlève rien à la beauté de toutes ces œuvres.

LE BANDONÉON, UN SON DE CŒUR

Le Bandonéon est instrument de musique passionnant tant son histoire et son répertoire sont vastes et riches.

Laissons plutôt la parole à l’un de ses plus grands maîtres, l’argentin Astor Piazzolla, formé auprès des musiciens et pédagogues les plus marquants, comme Nadia Boulanger ou Aníbal Troilo. Il est l’un des principaux rénovateurs du Tango dont beaucoup, dans les années 1950 avaient annoncé les funérailles et le considéraient comme mort et enterré.

Portrait d’Astor Piazzolla, le grand maestro du bandonéon

HISTOIRE ET PRATIQUE DU BANDONÉON

Voici un extrait d’une interview accordée par Astor Piazzolla à la BBC en 1989 :

A. P. – « Le Bandonéon fut créé en 1854 en Allemagne afin de jouer de la musique religieuse, de la musique d’église. N’ayant plus d’argent pour acheter un orgue ou un harmonium et les allemands inventèrent cet instrument. Il était alors apellé Bandonium. […] Un grand nombre de marins jouaient de cet instrument lorsqu’ils montaient à bord. Et c’est ainsi qu’il est arrivé en Argentine où ils commencèrent à en jouer dans les maisons de plaisirs. Mais des accordéonistes italiens adoptèrent rapidement cet instrument afin de pouvoir interpréter des tangos parce qu’il avait un son très mélancolique, un son velouté. L’accordéon a un son joyeux alors que le bandonéon n’a rien de gai en lui. »

Question de l’interviewer – Comment en joue-t-on, que fait-on avec chaque main ?

A. P. – « A la main gauche, il y a les basses, et la main droite est similaire à un violon. C’est comme un quartet à corde.»

Question de l’interviewer – Il ne joue pas d’accords ?

A. P. – « Si. Pas un seul comme avec l’accordéon. Si vous voulez un accord, vous devez utiliser tous vos doigts. Nous avons seulement quatre doigts de chaque coté et les pouces pour tenir l’instrument. Les accords sont créés note par note. Vous obtenez des accords de huits notes. C’est assez difficile. Par exemple, lorsqu’à la main droite, vous faites une gamme en ouvrant le soufflet le bouton faisant sonner la note do, donne un ré en fermant le soufflet. Pour ontenir le même do en fermant le soufflet il faut acctionner un autre bouton. De même la main gauche possède une configuration de sons en ouvrant et une différente en fermant le soufflet. Les cotés droit et gauche sont totalement differents et indépendants. C’est pour cette raison que cet instrument est d’une grande complexité. […]. »

D’abord instrument religieux en Allemagne, le bandonéon est devenu l’instrument typique du tango argentin.

DE LA MUSIQUE D’ÉGLISE AU TANGO, UN SON DE VELOURS

Après cet éclairage technique d’Astor Piazzolla, ajoutons que le bandonéon dispose d’un très large répertoire qui va de la musique religieuse à la musique classique, en passant par le folklore d’Allemagne, d’Europe du Nord, et de tous les pays du bassin du Rio de la Plata en allant jusque dans les hauteurs des plateaux andins avec le Chamamé par exemple. Il permet aussi d’interpréter des danses, musiques et chansons populaires françaises (bal musette) et du monde entier (Balkans, Moyen Orient…), du jazz et des œuvres contemporaines.

Néanmoins, ce qui marque profondément le bandoneon reste tout de même sa place prépondérante au sein du Tango. Il aura su séduire des grands maîtres de cet instrument, souvent aussi compositeurs de renom comme Francisco Canaro, Enrique Santos Disceplo, Anibal Troilo, Astor Piazzolla, et plus près de nous Ruben Juarez, Daniel Binelli, Dino Saluzzi, César Stroscio, Juan Jose Mosalini, et tant d’autres.

Tendre et profond, le son du bandonéon est une célébration à ce qui raisonne de plus évident et de plus sincère en nous : la vie, la mort et l’amour que l’on porte à ceux qui nous entourent, à qui l’on tient parfois, souvent, plus qu’à nous mêmes.

Annie Kouyoumdjian

L’AVIS D’ELICCI

Le bandonéon est donc un instrument qui se prête particulièrement bien à l’accompagnement musical des obsèques :

– pour les enterrements religieux, il peut remplacer l’orgue si la paroisse n’en dispose pas

– pour tous types de funérailles, civiles comme religieuses, car il procure un son chaud et rond avec une large palette de nuances, ce qui est propice à l’expression des émotions les plus profondes. Et comme le dit Astor Piazzolla : «le bandonéon n’a rien de gai en lui».

QUELQUES IDÉES DE MUSIQUES POUR OBSÈQUES AU BANDONÉON :

Adios Nonino, d’Astor Piazzolla, pour une cérémonie religieuse ou civile

L’histoire du bandoneón commence en Allemagne en 1854. Inventé par Hermann Uhlig, il arrive, (selon la légende) à  Buenos Aires par l’intermédiaire d’un marin anglais ou irlandais qui l’échangea pour une bouteille de whisky. Il devient un instrument du Tango vers 1890 alors qu’il n’existait que la guitare et la flûte auquel se rajouta le violon et plus tard le piano puis finalement le bandoneón.
Pourquoi le bandoneón? sa particularité réside dans le fait qu’il possède des sons « dramatiques », « tristes », « a tercio pelado » selon l’expression consacrée de ses musiciens et des bandoneonistas.
Il s’impose naturellement et devient alors l’instrument phare et de référence pour le Tango. A tel point que pendant l’année 1930, le fabricant allemand Alfred Arnold exporte vers l’Argentine presque 25000 bandoneón.
Le bandoneón est comme un petit orgue, par manque d’argent pour acheter un harmonium, il fut inventé et fabriqué. Il s’appelait alors « bandonium » et servait à jouer des musiques sacrés dans les églises.
Selon Astor Piazzola, le maître du bandoneón, il est un instrument qui fait « travailler le cerveau » car il possède 4 techniques complètement différentes.
La main droite et la main gauche qui saisissent le bandoneón de chaque côté, agissent de manière complètement indépendante et le clavier rend un son différent selon si l’on ouvre ou ferme l’instrument. On dit qu’il est diatonique.
Les accords se font comme sur le piano, le clavier peut agir comme une pédale et les sons rendus peuvent se rapprocher de ceux de l’orgue. Main gauche+main droite+ouvrir ou fermer, cela rend 4 techniques différentes.

Le bandonéon : un peu d’histoire

Auteur : Virginia Gift

Le bandonéon : un peu d’histoire

« On ne pourrait pas imaginer le tango sans le son du bandonéon. Pourriez-vous imaginer une messe sans foi ? le bandonéon est la foi du tango » Rodolfo Medeiros, bandonéoniste.

salida42 bandoneon1« Le bandoneon est un instrument infernal. Il fut conçu et fabriqué en Allemagne, à une époque où les choses étaient faites pour durer, où le plastique n’existait pas. Les matériaux étaient nobles : bois, métal, cuir, nacre… Pour un bandonéoniste, l’instrument devient comme son alter ego – il est en partie vous-même, et en partie votre épouse. Cela a même une dimension homosexuelle. On se sent à la fois possédé et possesseur, on le caresse, on connaît sa température ». Rodolfo Medeiros.

Le tango est la seule musique qui soit si identifiée avec le bandonéon qu’il est difficile de concevoir la musique de tango sans lui. Le bandonéon fut le dernier instrument à être intégré dans les premiers orchestres de tango, et il devint rapidement l’instrument typique du tango argentin.

Le bandonéon est un instrument à vent, avec des anches au milieu de la boite qui produisent un son quand les soufflets poussent l’air vers l’intérieur et l’extérieur. Il fut inventé en Allemagne et amené vers les ports de Buenos Aires et Montevideo dans les dernières années du XIXème siècle, par des immigrants qui fuyaient l’Europe vers le nouveau monde pour échapper à la pauvreté et aux persécutions. Il fut d’abord utilisé dans les églises d’Allemagne qui n’avaient pas suffisament de moyens pour se doter d’un orgue. Les immigrants l’amenèrent dans leurs bagages en tant qu’instrument portable destiné à accompagner le chant, mais il fut probablement surtout utilisé pour faire danser les polkas et les valses.

L’introduction du bandonéon dans le tango fut l’un des évènement les plus important dans l’histoire de cette musique. L’une des théories est que les musiciens qui jouaient de ce grand et bizarre instrument avaient du mal à tenir la mesure rapide du tango originel, ce qui entraîna un ralentissement de la musique pour résoudre cette difficulté. Cela éloigna le tango du rythme 2/4 et conduisit à adopter les rythmes 4/8 et 4/4, transformant ainsi une danse vivante, gaie, en quelque chose de lent, d’intime et de méditatif.

salida42 bandoneon2Les informations sur le créateur du premier bandonéon sont presque aussi imprécises que celles concernant les origines du tango. Certains créditent de cette invention Heinrich Band, qui à l’âge de 22 ans, prit la succession de la boutique d’instruments de musique de son père à Krefeld, en Allemagne. En 1850, il diffusa une publicité qui disait ceci : « Aux amis de l’accordéon. Grâce à une nouvelle invention, nous avons remarquablement perfectionné nos accordéons et ces nouveaux instruments, ronds ou octogonaux, de 88 à 144 notes, sont disponibles dans notre boutique ».

En 1856, dans la même ville, un certain Johan Schmita, un vendeur d‘instruments, fit l’annonce suivante : « Accordéons, concertinos (aussi connus comme bandonéons) de 20-22 tons, avec des possibilits de changement d’octaves qui surpassent tous les instruments à vent portables qui ont été fabriqués jusqu’ici ».

Le bandonéon a été parfois appelé « le cousin de l’accordéon », mais son son est très différent. Certains, quand ils l’entendent pour la première fois, le trouvent « étrange » . Au premier regard, il ressemble à un accordéon, avec un soufflet entouré de claviers verticaux des deux côtés. Mais un examen plus attentif montre sa ressemblance plus marquée avec le concertina, car, au lieu d’un clavier comparable à celui du piano sur le côté droit et des boutons sur le côté gauche, le bandonéon n’a que des boutons, des deux côtés du soufflet. Une autre différence est que le bandonéon est joué posé sur les genoux, alors que l’accordéon est suspendu autour de la poitrine. Il était, et il est toujours, difficile de passer d’un instrument à l’autre.

Le bandonéon a la réputation d’être difficile à apprendre. Alors que l’accordéon produit un accord en pressant un seul bouton sur le clavier de droite, le bandonéon ne produit que des notes isolées lorsque l’air passe à travers les tuyaux intérieurs. Cependant, la difficulté du bandonéon tient surtout au fait que chaque bouton peut produire deux sons très différents, selon que le soufflet s’ouvre ou se ferme.

salida42 bandoneon3Le son du bandonéon est différent à la fois de celui de l’accordéon et du concertina. La construction de l’instrument est différente par le fait qu’il possède deux tuyaux qui jouent en même temps pour chaque note, l’un à la hauteur normale, et l’autre une octave plus haut. La pression de l’air dans les soufflets fait vibrer les tuyaux de métal (fermés par pression manuelle),. L’autre caractérisque forte du bandonéon est que les notes peuvent être jouées avec des intensités variables, créant ainsi une gamme unique de sons – du féroce au délicat. L’instrument peut même produire des sons proches de la voix humaine, aussi appelés « pleurs ».

L’instrument originel avait 30 boutons produisant 60 sons, mais vers le tournant du siècle, la version à 142 notes avec 71 boutons devint standard en Amérique du sud (en Allemagne, le nombre de notes fut même étendu à 152). Vers la fin de la première décennie du XXème siècle, la fièvre du tango atteint un sommet à Paris. Les musiciens français demandèrent des bandonéons plus faciles à jouer. Aussi, quelqu’un inventa une disposition des boutons plus proches de celle de l’accordéon chromatique utilisé en France. Il était beaucoup plus facile à jouer car les boutons produisaient le même son, que les soufflets s’ouvrent ou se ferment.

Mis à part le son, le bandonéon a également une apparence particulière. Comme certains concertinas, il est octogonal ou plutôt carré avec les quatre côtés coupés. Mais, à la différence des concertinas, qui ont souvent des couleurs voyantes – les bandonéons sont presque toujours noirs ou acajou, avec des décorations discrètes de fils d’argent et d’incrustations de nacre.

salida42 bandoneon4Dans les premières années de son incorporation à la musique de tango, le bandonéon était relégué à la simple interprétation de la mélodie et n’avait pas de fonction rythmique. Mais une évolution importante se produisit dans les années 1920, quand le tango évolua vers l’interprétation d’arrangements plus sophistiqués. Les bandonéonistes furent alors autorisés, et même encouragés par certains directeurs d’orchestres, à inventer et embellir leur interprétation. La main gauche commença à construire des successions d’accords élaborées, et à imiter la lourde percussion des danses candombe des noirs, qui joua un rôle si vital dans les origines du tango. Les orchestres de Julio de Caro et Pedro Laurenz jouèrent un rôle particulièrement important dans évolution, en introduisant des solos de bandonéon (..).

Virginia Gift

Le bandonéon : un peu d’histoire – Fabrice Hatem

Découvrez le bandonéon, cet instrument trop méconnu

Bandonéon

Le bandonéon est un instrument injustement méconnu. Sa très grande ressemblance à l’accordéon le rend assez invisible auprès du grand public qui les confond souvent. Pourtant, les deux instruments diffèrent grandement, autant dans leur sonorité que dans leurs techniques de jeu, mais aussi dans leurs prix de vente neufs.

 

L’histoire du bandonéon

Le bandonéon est un instrument dont la technique de fabrication est complexe. Il n’a donc pas été inventé en un jour, mais il est le fruit de la longue et lente coopération de plusieurs inventeurs qui l’ont modifié et amélioré au fil des années. Résultat, il existe aujourd’hui une multitude de modèles différents venus de pays différents.

Le bandonéon est apparu pour la première fois en Allemagne quelques années avant le milieu du XIXe siècle. Dès sa première année de fabrication, 1834 probablement, il n’est pas un nouvel instrument, mais une amélioration d’un instrument allemand déjà existant : le concertina. L’objectif de ces améliorations était d’étendre la tessiture de l’instrument et de donner la possibilité de jouer dans toutes les tonalités.

L’instrument rencontre rapidement un grand succès et il sera amélioré tout au long du siècle qui suit. L’Europe centrale s’approprie l’instrument et l’incorpore à son folklore. Puis, l’immigration massive allemande vers l’Amérique du Sud va populariser l’instrument sur le continent où il va encore être modifié. Aujourd’hui, les modèles de bandonéons dépendent beaucoup de leur origine géographique.

Sonorité et style musical du bandonéon

Le bandonéon produit une sonorité typique et reconnaissable entre toutes. On distingue particulièrement le bruit de son soufflet entre deux harmonies. Ce bruit est tout à fait typique et il a été poétiquement baptisé « le soupir du bandonéon ». Les non-initiés auront tout de même du mal à faire la différence entre un bandonéon et un accordéon.

Au fil des migrations, des appropriations et des modifications de cet instrument, il s’est fondu dans de nombreux styles musicaux. On le retrouvait beaucoup dans la musique traditionnelle bavaroise il y a encore un siècle. En France, on le trouvait aussi très souvent, même s’il a été rapidement détrôné par l’accordéon.

Aujourd’hui, le bandonéon est surtout présent dans les musiques traditionnelles et folklorique de l’est de l’Europe, mais aussi beaucoup en Amérique du sud et, surtout, en Argentine dans les plus célèbres compositions de tango argentin. Le bandonéon est également utilisé par certains musiciens de jazz qui aiment explorer des sonorités nouvelles.

Modèles et techniques de jeu

Il existe deux grandes catégories de bandonéon. D’abord, il y a le modèle bi-sonore qui implique que l’instrument ne produit pas le même son selon que son soufflet est tiré ou poussé. C’est le modèle le plus répandu en Argentine. Puis, il y a le modèle uni-sonore, c’est-à-dire que le son est identique, peu importe le mouvement. Ce modèle se trouve surtout en Europe et en France.

Le fonctionnement d’un bandonéon est assez complexe, comme un accordéon. Différentes lames en bois ou en métal filtrent l’air qui entre et qui sort selon les mouvements du bandonéoniste. Avec les claviers, le musicien va jouer sur l’ouverture et la fermeture de ces lames pour produire des sons différents. Les claviers les plus courants ont 40 boutons pour la main droite et 33 pour la main gauche !

Le bandonéon permet donc au musicien de jouir d’une très grande expressivité. Non seulement il a accès à de très nombreuses harmonies et à 5 octaves différentes, mais le clavier n’est pas le seul moyen de jouer sur les sons. Effectivement, la taille et la souplesse du soufflet du bandonéon ont également une grande importance. Le soufflet permet alors une grande expressivité au musicien.

Où trouver un bandonéon neuf à vendre ?

Voilà sans doute le plus grand malheur des amateurs de bandonéon, mais il est quasiment impossible de trouver un modèle neuf à vendre dans le commerce aujourd’hui. L’instrument n’est plus vraiment à la mode et la fabrication de modèles neufs est quasiment à l’arrêt total en Europe. Il faudra donc toujours se tourner vers un modèle ancien et d’occasion. En Argentine, par exemple, il n’en restait que 2 000 en circulation en 2011 et un plan de sauvetage a été mis en place.

Cependant, même si les bandonéons sont de plus en plus rares, il ne faut pas se jeter sur le premier venu sans réfléchir. Avant d’en acheter un d’occasion, il faudra l’examiner de très près pour en déterminer l’état exact et les pièces à changer. Effectivement, il est presque toujours nécessaire de changer une pièce et, dans le cas des lames, cela dénature forcément le son d’origine de l’instrument.

Quel est le prix d’un bandonéon d’occasion ?

Évidemment, il peut y avoir de fortes variations d’un modèle à l’autre. Cependant, un modèle vendu au-dessous de 1 000 € est très probablement un modèle qu’il sera impossible de réparer. Il intéressera donc les collectionneurs, mais il sera impossible d’en jouer. Ensuite, il n’y a pas de limite quant au prix maximum et certains bandonéons de collection se vendent plus de 4 000 € !

Enfin, avant d’acheter un bandonéon d’occasion, en plus de repérer les réparations nécessaires, renseignez-vous sur le coût de ces réparations. Si les bandonéons sont rares, les pièces pour les réparer le sont également. Résultat, la réparation d’un bandonéon peut rapidement coûter plus cher que son prix d’achat.

L’accordéon : un instrument plus populaire que vous ne le pensez (bax-shop.fr)